Considérations générales et néanmoins importantes
Tumeurs et cancers sont des motifs de consultation, et des causes de décès, de plus en plus fréquents, à la fois chez le chien et chez le chat. Certaines de ces tumeurs sont bénignes, et les retirer chirurgicalement suffit pour guérir l’animal. D’autres sont extrèmement agressives, et il n’y a malheureusement aucun traitement à proposer. Entre les deux, on trouve toute une série de tumeurs ou de cancers suffisamment agressifs pour ne pas être guéris par la chirurgie seule, ou inacessibles à la chirurgie à cause de leur localisation (col de la vessie, par exemple), ou de leur multiplicité (lymphome qui envahit l’ensemble des ganglions), mais pouvant répondre plus ou moins complètement à un traitement médicamenteux.
Les objectifs de la chimiothérapie varient en fonction de la tumeur (localisation, agressivité…), et de l’animal (âge, état de santé…) :
Certains traitements ont pour objectif de guérir l’animal : c’est le cas, par exemple, des chimiothérapies qui suivent le retrait d’un mastocytome ou de tumeurs mammaires moyennement agressives : on commence par une chirurgie visant à retirer la totalité de la tumeur, et si l’analyse de celle-ci montre qu’il peut rester quelques cellules cancéreuses dans l’organisme, on met en route une chimiothérapie pour essayer de les détruire. Certains animaux ainsi traités vivent le reste de leur vie sans que la tumeur ne refasse jamais parler d’elle.
D’autres traitements ne visent qu’à prolonger la vie du chien ou du chat dans de bonnes conditions. C’est typiquement le cas des lymphomes non opérables : la chimiothérapie va faire régresser, et bien souvent disparaître la tumeur, mais on sait que celle-ci réapparaîtra tôt ou tard. Le but recherché n’est pas alors la guérison, mais de conserver son animal près de soi dans de bonnes conditions, pendant… six mois, un an, un an et demi… de plus.
Précision importante, dans la mesure où le mot « chimiothérapie » est associé au mot « acharnement » dans l’esprit de nombreux propriétaires d’animaux : les chimiothérapies que nous utilisons sont forcément bien, ou au moins correctement, supportées. Si un chien ou un chat ne supporte pas ce traitement, souffre, vomit… en dehors d’être inacceptable moralement, ce sera inefficace médicalement, car un animal qui souffre et ne mange pas ne fait pas long feu. Contrairement aux craintes (compréhensibles) de nombreux propriétaires, les chimiothérapies utilisées en médecine vétérinaire sont donc, par nature, bien tolérées par l’animal. Celles qui ne sont pas bien tolérées ne sont tout simplement pas utilisées.
Un article très intéressant de François Serres, vétérinaire exerçant dans une structure spécialisée en cancérologie des chiens et des chats, qui aborde toutes sortes de questions éthiques, voire philosophiques, que l’on peut se poser avant de décider de commencer (ou de ne pas commencer) une chimiothérapie pour son chien ou son chat, est consultable sur ce site.
Une « nouvelle » législation
« Nouvelle » entre guillemets, parce qu’elle commence à ne plus être si nouvelle que ça : depuis 2005, le Principe de Précaution est inscrit dans la Constitution. Dans la foulée, a été publié le 18 juin 2009 un « Arrêté relatif aux bonnes pratiques d’emploi des médicaments anticancéreux en médecine vétérinaire« , avec l’objectif louable de protéger l’entourage et l’environnement des résidus de médicaments cytotoxiques secrétés par l’animal (dans sa peau, ses poils, sa salive, ses selles ou ses urines…), notamment pendant les jours suivant chaque séance de chimiothérapie. On pourra trouver certaines de ces dispositions un tantinet exagérées, par exemple lorsqu’il est demandé au propriétaire de ne plus caresser son chat à mains nues (met-on des gants et un masque pour faire la bise à une personne qui reçoit une chimiothérapie ?), ou de se munir d’une bouteille d’eau d’un litre minimum avant de partir en promenade, afin de diluer les urines du chien à chaque fois qu’il lève la patte contre un arbre…
Cette nouvelle législation est extrêmement contraignante pour les cliniques vétérinaires. Elle l’est aussi pour les propriétaires et pour leur animal, avec quelques conséquences fâcheuses : en premier lieu, l’obligation d’hospitaliser le chien ou le chat, le plus souvent pendant 48 heures après chaque séance de chimiothérapie (et parfois davantage selon le produit utilisé : notion de « durée de surveillance accrue »). Cette obligation d’hospitaliser un animal atteint d’une maladie grave, et que l’on préfèrerait savoir dans son panier à la maison, plutôt que dans un box, même confortable, à la clinique vétérinaire, est souvent mal ressentie par les propriétaires. Elle a aussi conduit à une augmentation du coût de chaque séance, liée à l’augmentation du temps et du matériel nécessaires. Autres obligations un peu dérangeantes pour les propriétaires : quelques précautions à prendre à la maison, en particulier la collecte et l’élimination des déjections de leur animal. Tout ceci risque évidemment de réduire le nombre de chiens et de chats ayant accès à la chimiothérapie – mais tel était probablement l’un des objectifs du législateur !
À titre indicatif, vous trouverez ci-dessous la liste des principales obligations créées par l’arrêté de juin 2009. Il est évidemment permis de zapper, mais une lecture, même en diagonale, est intéressante pour avoir une idée des contraintes engendrées par cette nouvelle législation. Encore une fois, tous ces désagréments sont pris en charge par les cliniques vétérinaires : les animaux et leurs propriétaires n’en subiront pas de gêne, à l’exception de l’obligation d’hospitalisation déjà évoquée, (et du surcoût qui en découle), et de quelques précautions à prendre à la maison (par exemple la dilution des urines, mentionnée plus haut).
Les contraintes liées à l’arrêté de 2009
Alors, pour information et en résumé :
1 – Modalités d’habillage :
Le vétérinaire et l’assistante administrant la chimiothérapie doivent être équipés d’une blouse à usage unique, à fermeture dans le dos et à manches longues serrées au poignet, d’un masque à usage unique de type FFP2, d’une paire de lunettes de protection, d’une coiffe à usage unique, et de deux paires de gants superposées en latex, non talquées, d’une épaisseur minimum de 0,2 mm (photos ci-dessus à gauche, et en tête de l’article : administration, par perfusion, d’une chimiothérapie à l’adriblastine chez Chipie, plus de seize ans, récemment opérée de tumeurs mammaires cancéreuses).
2 – Modalités de stockage :
les médicaments anticancéreux sont stockés à l’écart des autres, dans des rangements cloisonnés et très clairement identifiés (photo ci-contre : rangement dans le réfrigérateur).
Une liste exhaustive doit en être tenue et contrôlée régulièrement. Tout médicament reconstitué doit être placé dans un sac hermétique de type zyploc, portant une étiquette réglementaire à bords rouges (voir point n° 4). Les consignes de sécurité et de conduite à tenir en cas d’accident doivent être affichées à proximité. L’élimination des médicaments entamés et périmés est bien définie (point n° 8).
3 – Modalités de signalement :
Des panneaux portant les mentions « Manipulation de produits très actifs / entrée réglementée », ou « Chimiothérapie : contact interdit pour les personnes non équipées », seront apposés respectivement sur la porte de la pièce où se déroule la chimiothérapie (photo de gauche), et sur le box de l’animal, pendant toute la durée de son hospitalisation (photo ci-dessous).
4 – Une fiche de préparation :
Une fiche de préparation est éditée, mentionnant l’identification de l’animal, son poids le jour de l’administration, le nom du médicament et le dosage utilisé, la dose par m2 ou par kg, la dose en mg, le conditionnement de la préparation, le solvant utilisé pour la reconstitution, le volume de solvant nécessaire à la reconstitution, le soluté nécessaire à la dilution, le volume de dilution, et la date de préparation. Cette fiche est contrôlée par un deuxième vétérinaire qui y appose son visa. On rédige ensuite deux étiquettes à liseré rouge, réglementaires pour les préparations de substances vénéneuses, et on y inscrit le nom de l’animal, le nom du médicament, la dose à administrer, le volume total de la préparation, un numéro d’enregistrement, la date de préparation, les conditions de conservation, et la date de péremption. L’une de ces étiquettes est collée sur la préparation, l’autre sur la fiche de préparation, qui est ensuite archivée.
Une signalétique mise en place (voir plus haut), toutes les portes sont fermées, climatisation ou ventilation arrêtées. Tout le matériel spécifique est préparé : seringues à embout verrouillable, conteneur en plastique rigide dédié à l’élimination des déchets de chimiothérapie…
le chien ou le chat est hospitalisé dans une cage qui permet de recueillir toutes ses urines et toutes ses selles, munie d’une signalétique appropriée (voir point n° 3), et située le plus loin possible des cages des autres animaux
Seul peut accéder à cette cage le personnel formé, compétent, autorisé par le vétérinaire, et convenablement équipé (voir point n° 1). Les propriétaires ne pourront visiter leur animal que « de manière aussi limitée que possible, sous conditions d’un équipement adapté, et sous le contrôle du vétérinaire ». La durée minimum de l’hospitalisation est de 48 heures après chaque administration de médicament anticancéreux, afin de « prendre en charges les effets aigus des protocoles, susceptibles d’accroître substantiellement les risques de contamination humaine ». Tous les incidents (vomissements, diarrhées, souillures…) devront être consignés, l’ensemble du matériel utilisé pour l’hospitalisation (alèzes, litières…) sera considéré comme contaminé, et éliminé par une filière spéciale. Si l’animal doit être lavé, ce sera avec la tenue précédemment décrite (voir point n° 1), et en évitant toute éclaboussure et tout aérosol. Nettoyage et décontamination des cages et des surfaces se font selon des procédures bien précises.
8 – Modalités de gestion des déchets :
Tous les déchets de chimiothérapie sont stockés dans des conteneurs répondant à des normes bien précises, un pour les objets (potentiellement) piquants ou tranchants (aiguilles, flacons, ampoules…), un autre pour les autres déchets. L’élimination se fait par une filière spécifique habilitée à traiter les déchets à risques chimique, toxique et biologique. L’intégralité de l’équipement de protection décrit plus haut doit être portée pendant cette phase, avec des protocoles bien définis. Les médicaments non utilisés, entamés ou périmés sont eux aussi éliminés par une filière spéciale.
9 – Modalités de nettoyage et décontamination des surfaces et des objets :
Concernant l’information des propriétaires ou détenteurs de l’animal, une notice d’information est remise à tout propriétaire de chien ou de chat envisageant une chimiothérapie pour son animal, différente selon que celui-ci sera traité ponctuellement par injections dans une clinique vétérinaire, ou quotidiennement, par comprimés, à la maison. Cette notice informe les propriétaires des risques d’une chimiothérapie de leur animal pour les enfants, les femmes enceintes et les personnes immunodéprimées, pendant la durée de surveillance accrue, variable selon chaque médicament utilisé (2 à 7 jours). Pendant cette période, les déjections devront être éliminées ou gérées d’une façon particulière. Le propriétaire doit ensuite signer et remettre à son vétérinaire une feuille de consentement, attestant qu’il a bien été informé des risques et des contraintes liés à la chimiothérapie.
Des registres doivent être tenus pour enregistrer les ordonnances, les traitements administrés (propriétaire, animal, produits utilisés (numéro de lot, posologie, voie d’administration), identification des personnes ayant participé à l’administration du traitement, incidents éventuels…), et l’élimination des déchets. La preuve de l’efficacité des sauvegardes devra être apportée, et des exercices de traçabilité régulièrement réalisés.
Quelques exemples de chimios
Quelques mots, ci-dessous, sur les protocoles les plus souvent utilisés.
Un détail qui n’en est pas un : comme beaucoup de médicaments, mais peut-être encore plus que d’autres, les produits utilisés pour les chimiothérapies sont souvent en rupture – voire supprimés ! On essaye alors de faire au mieux avec ce qui reste…
1 – L Asparaginase / vincristine / cyclophosphamide / prednisolone ± adriblastine :
Ce protocole est utilisé essentiellement pour les lymphomes : soit comme traitement unique, par exemple chez un chien dont tous les ganglions sont devenus de la taille d’une orange (on ne pourra pas les retirer tous), ), soit en complément d’une chirurgie, par exemple lorsqu’un seul ganglion est touché, et qu’on l’a retiré et analysé. (Photo ci-dessous : ponction de rate chez une chienne : lymphome de haut grade, avec une population constituée uniquement de grands lymphoblastes, dont certains en division).
Nous décrivons ci-dessous un protocole type, pour donner aux propriétaires d’un animal une idée du nombre et de la fréquence de séances de chimiothérapie, donc de jours d’hospitalisation, à prévoir. Ce protocole est, bien sûr, à adapter à chaque animal en fonction de l’effet sur la tumeur, d’éventuels effets secondaires :
Injection intra-musculaire de L asparaginase la première semaine
Injection de vincristine en intra-veineuse stricte, après pose d’un cathéter (sous peine de faire de véritables trous dans la peau !) et prise de comprimés de cyclophosphamide huit à dix heures plus tard la deuxième semaines.
Les injections de vincristine sont renouvelées une fois par semaine, trois semaines de plus, puis une fois toutes les trois semaines en association avec le cyclophosphamide. En fonction du protocole utilisé, vincristine-cyclophosphamide et adriblastine (voir § 2) pourront être administrés en alternance, au rythme d’une séance chaque trois semaines.
La prednisolone est administrée en comprimés, d’abord tous les jours, puis un jour sur deux.
Pour chaque séance, le chien est hospitalisé un matin, et sort le lendemain soir. Les comprimés de prednisolone sont donnés à la maison.
Les effets secondaires sont rares, avec ce protocole. Nous avons parfois rencontré une baisse des globules blancs dans les jours qui suivent l’injection, ce qui peut favoriser une infection opportuniste et l’apparition d’une fièvre : nous avons donc l’habitude de mettre le chien sous un antibiotique courant, pendant quelques jours après chaque séance. Des cystites sont parfois associées à l’administration du cyclophosphamide.
Un protocole similaire, mais se limitant à la vincristine et à la prednisolone, est utilisé chez le chat, dans les mêmes conditions (seul pour un lymphome inopérable, ou en complément d’une chirurgie). Concrètement, le chat est hospitalisé le matin, et sort le lendemain soir, une fois par semaine pendant quatre semaines, puis une fois chaque trois semaines ; les séances s’espacent un peu au-delà de six mois de traitement. Comme chez le chien, ce protocole est habituellement bien supporté par le chat.
Conséquences de la nouvelle législation : la durée de surveillance accrue, pendant laquelle les propriétaires doivent prendre des précautions à la maison (avec les déjections de l’animal, lors des caresses à main nue…) est de deux jours pour la vincristine (injectée le premier matin de l’hospitalisation), et de trois jours pour la cyclophosphamide (administré chez les chiens le soir du premier jour d’hospitalisation). La durée de surveillance accrue à la maison se limitera donc à une nuit pour les chats, mais sera de deux nuits et deux jours pour les chiens ayant reçu cette chimiothérapie.
2 – Adriblastine (ou doxorubicine) :
Cette molécule est utilisée dans pas mal de cancers. L’une de ses principales indications est constituée par les lymphomes : soit en première intention comme décrit dans le § 1, soit en protocole de secours lorsque vincristine-cyclophosphamide-prednisolone ne fonctionnent plus et que le chien rechute.
Les adénocarcinomes, en particulier les tumeurs mammaires, constituent une autre indication fréquente. (Photo ci-contre : tumeur mammaire de très grande taille, pendouillant sous le ventre d’une chienne). Après retrait chirurgical de la tumeur mammaire, une série d’injections d’adriblastine est conseillée lorsque l’analyse histologique nous indique que cette tumeur mammaire était très agressive, a fortiori si des cellules cancéreuses ont été vues en train de se disséminer, dans les vaisseaux sanguins ou lymphatiques de la tumeur.
Le protocole est simple : une injection chaque trois semaines, par l’intermédiaire d’une perfusion (voir les deux photos de Chipie, en début d’article). À ne surtout pas passer à côté de la veine : comme la vincristine, l’adriblastine fait des trous dans les tissus. Concrètement, le chien ou le chat est hospitalisé un matin, reçoit sa perfusion, et reste hospitalisé jusqu’au lendemain soir. Une fois rentré à la maison, il reste tout de même encore quatre jours de surveillance accrue à tirer ! (six jours en tout).
Une grosse limitation : une toxicité cumulative, cardiaque chez le chien, rénale chez le chat. Concrètement, cela signifie que lorsque le chien a reçu six ou sept doses d’adriblastine, son muscle cardiaque (myocarde) risque de se contracter moins efficacement. On contrôle donc le cœur du chien en échographie avant chaque séance, et on ne va généralement pas au-delà de six ou sept injections. Même chose chez le chat : là, les contrôles sont rénaux (prise de sang pour dosage de l’urée et de la créatinine), et on ne va généralement pas au-delà de sept ou huit séances.
En dehors de cette toxicité cumulative, que les examens de contrôle permettent d’anticiper, les effets secondaires sont habituellement limités : possibles fatigue et vomissements, dans les deux à quatre jours qui suivent l’injection. Certains anti-vomitifs permettent généralement d’éviter les vomissements.
3 – Vinblastine :
Cette molécule est utilisée notamment dans le traitement des mastocytomes, multicentriques (plusieurs tumeurs qui sortent sur le corps du chien), ou de haut grade (3/3, ou 2/3 avec un indice de prolifération élevé).
Photo de gauche : petite tumeur molle sur le doigt d’un chien. Photo de droite : ponction de la tumeur : tapis de mastocytes, permettant de diagnostiquer un mastocytome. Seul l’examen histologique, réalisé après exérèse chirurgicale, permet ensuite de déterminer le grade la tumeur, et de décider si une chimiothérapie sera nécessaire en complément de la chirurgie. Cela n’a pas été le cas dans l’exemple ci-dessus.
Elle aussi s’administre par voie intra-veineuse stricte, après pose d’un cathéter. Le protocole est le plus souvent d’une injection par semaine pendant un mois, puis d’une injection chaque quinze jours le deuxième mois, en association avec un corticoïde et un anti-acide, généralement poursuivis plus longtemps. Ce protocole est, bien sûr, variable (notamment en durée) selon le nombre et l’agressivité des mastocytomes, et les possibilités chirurgicales. (Tumeur unique avec exérèse chirurgicale large, tumeur étendue impossible à retirer complètement, nombreuses tumeurs impossibles à retirer toutes…). Concrètement, le chien est hospitalisé un matin, reçoit son injection, et rentre à la maison le lendemain soir.
La vinblastine est habituellement très bien supportée (effets secondaires chez moins de 1 % des chiens traités)
Avec une durée de surveillance accrue de deux jours pour la vinblastine, cette durée est quasiment terminée lorsque le chien regagne la maison, à l’issue de ses 36 heures d’hospitalisation (il ne reste alors qu’une nuit de surveillance accrue à la maison).
D’autres molécules sont utilisables pour traiter les mastocytomes : lomustine, masitinib et tocéranibe, s’administrent par voie orale, avec des avantages (les deux derniers échappent à la législation sur les chimiothérapies : voir § 6) et des inconvénients (coût, effets secondaires…), à discuter en fonction de chaque cas.
4 – Melphalan, chlorambucil :
Il s’agit de deux agents alkylants qui ont l’avantage d’être peu onéreux, et de s’administrer par voie orale, en comprimés : donc pas de passage en clinique, et encore moins d’hospitalisation.
Le melphalan s’utilise en une prise quotidienne, associé aux corticoïdes, pour le traitement du myélome multiple : il permet souvent des survies longues, supérieures à un an. On l’utilise aussi en complément de la chirurgie, dans le traitement d’un certain nombre de tumeurs, comme les adénocarcinomes des sacs anaux (glandes anales), surtout lorsqu’ils ont métastasé dans les ganglions de l’entrée du bassin : il est alors prescrit par cures de cinq à sept jours, chaque trois semaines. (Ci-contre : électrophorèse des protéines chez un chat atteint de myélome multiple : pic monoclonal caractéristique, à gauche sur la figure).
Le chlorambucil est utilisé en traitement d’entretien du myélome multiple, ou dans certains lymphomes peu agressifs, comme les lymphomes lymphocytaires de l’intestin du chat, ou encore dans les leucémies lymphoïdes chroniques. Il est souvent associé aux corticoïdes, avec des protocoles variables (quatre ou cinq jours de traitement chaque trois semaines, ou une prise un jour sur deux…)
Le principal effet secondaire, pour ces deux molécules, est une atteinte de la moelle osseuse (myélotoxicité) : celle-ci se traduit par une baisse des polynucléaires neutrophiles pour le chlorambucil (très rare, tardive, progressive, et réversible à l’arrêt du traitement), et par une chûte des plaquettes sanguines (plus rarement des polynucléaires), pour le melphalan. Celle-ci est longue à apparaître… mais également longue à disparaître à l’arrêt du traitement.
Peu onéreux, administration par voie orale, faible toxicité… ces médicaments auraient tous les avantages s’ils n’étaient en parfaite contradiction avec la loi de juin 2009, qui fait tout pour éviter l’administration de produits de chimiothérapie à la maison, et plus généralement ailleurs qu’en hospitalisation.
5 – Cisplatine et carboplatine : plus rarement
Comme leur nom l’indique, il s’agit de deux composés du platine : on comprend donc que leur coût sera l’un des principaux facteurs limitant leur utilisation !
Le cisplatine s’utilise en complément de la chirurgie, sur les ostéosarcomes du chien (photo ci-contre) : les ostéosarcomes sont des tumeurs osseuses très agressives, qui détruisent l’os, et métastasent très précocément. Certaines tumeurs de la vessie ou des cavités nasales (carcinomes), ainsi que de la plèvre ou de l’abdomen (mésothéliomes), constituent des indications moins fréquentes.
Le cisplatine est administré au chien par voie intra-veineuse stricte, au sein d’une perfusion abondante (diurèse forcée) pour limiter la toxicité rénale, le plus souvent en quatre séances à trois semaines d’intervalle. Il s’utilise aussi par voie locale (injection dans la tumeur elle-même, dans la plèvre…). Le cisplatine possède pour l’essentiel une forte toxicité digestive (100 % des chiens vomissent) et rénale (6 à 16 % d’insuffisance rénale après traitement), et une toxicité hématologique plus modérée (baisse des globules blancs). Il ne doit pas être utilisé chez le chat, chez qui il est systématiquement mortel (toxicité pulmonaire).
Le carboplatine est aussi efficace que le cisplatine sur les ostéosarcomes, en complément de la chirurgie, avec une survie médiane de dix mois et demi, et un taux de survie à un an de 34,5 %. Il est moins toxique pour les reins et l’appareil digestif, plus toxique pour les cellules du sang (globules blancs et plaquettes), mais on peut l’utiliser chez le chat. Il s’administre par voie intra-veineuse, en quatre séances à trois semaines d’intervalle chez le chien, quatre semaines chez le chat, ou par voie locale, en injection à l’intérieur de la tumeur.
6 – Les anti-inflammatoires anti-COX 2 et les inhibiteurs de la tyrosine kinase :
Ce sont deux groupes de molécules qui ont le gros avantage de ne pas être des produits de chimiothérapie : les anti-COX2 sont de simples anti-inflammatoires, les inhibiteurs de la tyrosine kinase n’ont pas de propriété cytotoxique : ces médicaments peuvent donc être utilisés sans hospitalisation, isolement, etc.
La cyclo-oxygénase (COX), et particulièrement l’une de ses formes (COX-2), est une enzyme responsable de phénomènes inflammatoires. Cette enzyme est inhibée par les anti-inflammatoires, notamment les anti-COX2, qui combattent efficacement l’inflammation tout en ne provoquant que peu d’effets secondaires, notamment digestifs. Chez l’Homme, en 1998, la COX-2 a été mise en évidence dans des tissus tumoraux, alors qu’elle est absente des tissus sains dont la tumeur est issue. Par exemple, la COX-2 est exprimée dans 100 % des carcinomes transitionnels de la vessie du chien, alors qu’elle est absente (0 %) de la vessie saine. On trouve également la COX-2 dans certaines tumeurs mammaires des chiennes (adénocarcinomes mammaires : 56-61 % vs 0-10 % dans la mamelle saine), dans les adénocarcinomes des cavités nasales (73 à 100 %), du rectum, du rein et de la prostate, dans les mélanomes (60 %), etc. En revanche, on ne trouve pas (ou très peu) de COX-2 dans les fibrosarcomes, ostéosarcomes ou lymphomes.
Les anti-inflammatoires, particulièrement les anti-COX-2, ont un effet sur les tumeurs exprimant la COX-2 : ils contrarient notamment la fabrication de vaisseaux sanguins par la tumeur (néo-vascularisation tumorale), et limitent la progression tumorale, notamment en diminuant la production de protéines qui gênent la destruction des tumeurs (protéines anti-apoptose).
Leur principale indication est le carcinome urothélial (autrefois appelé carcinome transitionnel) de la vessie : cette tumeur se localise le plus souvent dans le trigone vésical (là où se situent l’arrivée des uretères et le départ de l’urètre), ce qui rend son exérèse chirurgicale a minima difficile, et souvent impossible. Les chimiothérapies classiques (cisplatine, carboplatine…) ne donnent pas de très bons résultats, et présentent de sérieux inconvénients (coût, effets secondaires). Les anti-inflammatoires (piroxicam, meloxicam…), constituent donc une alternative intéressante : ils présentent peu d’inconvénients (faible coût, peu d’effets secondaires, absence des contraintes liées à la chimiothérapie), et augmentent la médiane de survie des chiens atteints, permettant souvent une stabilisation, et parfois même une disparition de la tumeur… mais malheureusement, ça ne marche pas chez tous les chiens. L’association à d’autres molécules, comme le mitoxantrone améliore encore ces résultats. Il semble que les anti-COX-2 présentent également un intérêt dans le traitement des tumeurs mammaires de la chienne et de quelques autres tumeurs, mais les études n’en sont encore qu’à leur début. Les anti-COX-2 font aussi partie de la plupart des chimiothérapies métronomiques (voir § 7).
Ci-dessus à gauche : carcinome urothélial de la vessie chez une chienne Papillon de quinze ans et demi : la paroi de la vessie est épaisse, irrégulière, avec présence de masses dans l’épaisseur de la paroi. Le diagnostic a été confirmé par cytologie urinaire (ci-contre : cellules tumorales géantes, à plusieurs noyaux ou à noyaux anormaux). Ci-dessus à droite : aspect de la vessie sept mois plus tard, avec un traitement continu de meloxicam : normalisation de la paroi vésicale. Un an et demi après le diagnostic, la chienne ne présentait plus aucun symptôme, et les contrôles échographiques ont montré une disparition complète de la tumeur.
Il existe actuellement deux inhibiteurs de la tyrosine kinase en médecine vétérinaire : le masitinib et le tocéranib. Il ne s’agit pas d’une chimiothérapie avec des cytotoxiques, mais d’une thérapie ciblée, avec des molécules qui inhibent spécifiquement l’enzyme c-kit, responsable de la prolifération des cellules cancéreuses. Leur but n’est pas de faire disparaître la tumeur, mais de la stabiliser : on doit donc les administrer en permanence, aussi longtemps que la tumeur est contenue et la qualité de vie de l’animal satisfaisante. Les inhibiteurs de la tyrosine kinase sont actuellement destinés au traitement des mastocytomes de grades II ou III non opérables… mais aussi à celui des mastocytomes de grade I lorsque ceux-ci sortent de partout, qu’on en retire chirurgicalement 10, et que quelques semaines plus tard, il y en a 5 autres qui ont poussé. Il est probable qu’à l’avenir, ces médicaments seront indiqués dans d’autres types de tumeurs.
Comme les anti-cox 2, les inhibiteurs de la tyrosine kinase échappent à la législation sur les produits de chimio et, bien dosés, provoquent généralement peu ou pas d’effets secondaires. Seu inconvénient, et il est de taille : leur coût ! Acceptable pour un chi hua hua, plus problématique pour un bon gros labrador.
7 – Et les chimiothérapies métronomiques :
Elles consistent à administrer quotidiennement de petites doses de produits que l’on utilisait jusque là à beaucoup plus forte dose, et de façon discontinue. L’exemple type en est le cyclophosphamide, administré tous les jours à petite dose à la maison, plutôt qu’à forte dose, une fois toutes les trois semaines, à la clinique. Le cyclophosphamide (ou d’autres produits) sont généralement associés aux anti-COX 2 évoqués plus haut.
Ces chimiothérapies présentent l’avantage d’être économiques, de se faire à la maison, et de provoquer moins d’effets secondaires (bien que l’on observe tout de même des cystites dues au cyclophosphamide, même administré à faible dose). Leur mode d’action a été partiellement éclairci : chez les chiens qui les reçoivent, il a été montré que la vascularisation des tumeurs (angiogenèse) diminue, et que les défenses de l’organisme (anticorps) dirigées contre la tumeur, faibles en début de traitement, remontent significativement pendant la chimiothérapie. Une augmentation des durées de vie a été constatée, avec deux limites malgré tout : ces traitements n’en sont qu’à leur début, et les études sur de grandes populations, avec groupe témoin non traité, font encore défaut. D’autre part, on les utilise surtout sur des tumeurs agressives, pour lesquelles on ne disposait pas jusque là de traitement très efficace, et l’augmentation de la durée de survie, si elle est significative, reste donc modeste (cinq-six mois vs deux mois en moyenne, après exérèse chirurgicale d’un hémangiosarcome de la rate chez un chien, selon que la chimiothérapie métronomique sera ou non utilisée).
Gros inconvénient de ces nouveaux protocoles : l’utilisation permanente de produits de chimiothérapie à la maison, en contradiction totale avec l’esprit de la nouvelle législation. L’animal se trouve ainsi en permanence sous le régime de la surveillance accrue.