La notion de hiérarchie chez le chien a fait l’objet d’un certain nombre de discussions, voire de polémiques, ces dernières années : en particulier, l’extrapolation pure et simple de l’organisation sociale en meute, du loup au chien, est fortement remise en question, (sans doute à juste titre), de même que les notions de hiérarchie et de prérogatives. Celles-ci conduiraient en effet à ranger les chiens en deux catégories (dominant/dominé), à réduire les interactions chiens / humains à des relations agressives et conflictuelles, à rejeter toute éducation positive au profit d’injonctions menaçantes et génératrices de stress pour l’animal, (voire pour ses maîtres)… et à considérer qu’il existe une hiérarchie à l’intérieur du groupe humain ou de la famille, (puisque le chien s’y positionne), idée que certains jugent inacceptable.
Nous n’allons certainement pas trancher le débat dans cette page. Disons simplement que 1) un chien n’est pas, par nature, dominant ou dominé, la situation est un peu plus complexe et fluctuante : un chien peut s’être arrogé une prérogative (gênante ou pas, au demeurant), dans un seul domaine, sans que cela en fasse un chien « dominant », et la prérogative en question pourra toujours lui être retirée… en douceur. 2) Il existe un (large) espace entre dresser/mâter son chien « dominant » à grands coups de ceinturon, et considérer que les relations chiens/humains ne peuvent être que symétriques et amicales, comme le seraient, soi-disant, les relations chiens/chiens dans la nature. On retrouve un peu là l’opposition entre l’enfant-objet des années 60 et antérieures, qui devait se taire et filer droit sous peine de s’en prendre une, (pas dans toutes les familles, mais dans beaucoup quand même), et l’enfant-roi des années 70 et suivantes qui, en remportant l’un après l’autre toute une série de mini combats familiaux, a fini par se retrouver dans la position d’un petit despote domestique. (Tiens, on entend parfois ces derniers mots à propos de certains chiens !). Et 3) Etre bien cadré dans une hiérarchie claire n’est en aucun cas source de stress pour un chien : il sait au contraire où est sa place, ce à quoi il a droit et n’a pas droit… l’essentiel étant que les règles ne varient pas d’un jour sur l’autre, et qu’elles soient imposées sans violence.
Deux points pour terminer cette introduction : d’abord, la conception de la hiérarchie décrite dans cet article n’est pas dogmatique, elle correspond à ce que nous avons pu observer au cours de plusieurs dizaines d’années de consultations, générales ou spécialisées en comportement : les chiens posant un problème dans une famille, par leurs comportements globalement gênants, sont des chiens qui ont acquis, au fil des mois ou des années, un certain nombre de prérogatives… jusqu’à devenir, comme certains enfants-rois, de véritables petits tyrans domestiques. Ensuite, il ne faut pas non plus être dogmatique dans l’autre sens : si votre chihuahua dort sur le lit, que ça lui fait plaisir, que ça vous fait plaisir, et que ça n’a jamais posé de problème… eh bien qu’il continue à dormir sur le lit !
Bon, après cette longue introduction, nous voilà prêts à aborder en détail la hiérarchie chez le chien – ou tout du moins, vous l’aurez compris, une de ses conceptions. Allez, on prend une grande inspiration, et on y va.
Les fondements de la hiérarchie chez le chien
Quand on regarde Princesse, adorable petite Yorkshire lovée entre deux coussins au milieu du canapé, on se dit qu’elle n’a plus grand chose à voir avec un loup, et que ça doit faire belle lurette que ses ancêtres ne chassent plus en meute, les nuits d’hiver, au fond des bois. On continue malgré tout à interpréter le comportement du chien domestique du 21ème siècle en se basant sur le fonctionnement de la meute lupine, à savoir un groupe essentiellement familial, organisé autour d’un couple (voire d’un trouple !) reproducteur, dominant, classiquement appelé couple alpha. Cette meute fonctionne selon une hiérarchie stricte, particulièrement visible lors des repas ou en période de reproduction, mais malgré tout dynamique et régulièrement remise en question par des loups qualifiés de bêta, ou gamma… ou simplement jeunes, et qui se verraient bien devenir califes à la place du calife (photo ci-dessous).
Bon, tout ça, donc, on oublie, la plupart des études montrant que les interactions sociales des Princesse d’aujourd’hui ne sont plus superposables à l’organisation sociale de leurs lointains ancêtres. Il y a tout de même quelque chose que l’on peut sans doute conserver de ces origines lupines, ce sont les modes de communication (langage corporel), assez semblables entre chiens et loups… même si les mimiques faciales, proximité avec l’Homme oblige, sont plus variées chez le chien. On pourra lire à ce sujet (quand elle sera écrite), la page de ce site consacrée à la communication entre chiens.
A quoi, donc, se référer, pour interpréter le comportement d’un chien actuel, et notamment sa manière de se positionner dans la hiérarchie d’un groupe interspécifique chiens-humains ? Plutôt que du côté de la meute de loups, on pourra regarder en direction des groupes de chiens féraux, qui sont des chiens retournés à l’état sauvage, et n’ont plus aucune interaction avec l’Homme, qu’ils auraient même tendance à fuir. Ici, on fonctionne plus en dyades (deux individus), qu’en meute. Les conflits au sein d’une dyade seront liés à l’accès aux ressources, (nourriture, lieux de couchage, partenaire sexuel…), plus rares en l’absence de compétition, et déboucheront, après étalage de postures de menace chez l’un et de soumission chez l’autre, à une relation dominant/dominé au sein de la dyade. D’autres dyades reposeront sur des comportements positifs, affiliatifs, tels que jeu, léchage et partage de nourriture. Les relations hiérarchiques et affiliatives qui se mettent en place à l’intérieur des dyades contribuent, chacune à sa façon, à la stabilité et à la cohésion du groupe : affiliatives parce que les chiens sont contents d’être ensemble, hiérarchiques parce qu’elles limitent les conflits : le dominé mangera quand le dominant aura fini de manger, et ça évitera de se bagarrer à chaque repas. Quelles différences avec les loups, me direz-vous ? Eh bien l’organisation en dyades, différente de la structure plus verticale de la meute de loups, avec le couple alpha au centre, et les autres qui gravitent autour. Ici, on peut avoir A qui domine B et s’entend bien avec C, B qui domine D, et D qui s’entend bien avec E et domine A… Rien de tout cela n’étant figé, bien entendu. Autre différence, moins de coopération (pour la chasse ou les soins aux petits) entre chiens, que dans une meute de loups. Et contrairement à ces derniers, quand un groupe de chiens trouve quelque chose à manger, les plus dominants se l’approprient, et ne laissent pas grand chose aux autres ! (Photos ci-dessous, et graphique un peu plus loin). Toutes ces informations, et pas mal d’autres, dans une intéressante thèse vétérinaire sur le sujet (J. Lazzarotti, 2019).
Accès aux ressources, ici la nourriture, chez deux chiens féraux… ou en tout cas, qui ne doivent pas souvent avoir de contact avec des humains. Photo du haut : depuis cinq minutes, l’un des deux chiens ronge tranquillement l’os qu’il a trouvé, pendant que le deuxième le regarde à distance, l’air tout penaud. Ci-dessus : après avoir terminé, le premier chien est parti, et le deuxième s’approche prudemment pour voir s’il reste quelque chose à manger… Ben non.
Bon, retour à Princesse, sur son canapé. Entretient-elle avec sa maîtresse les mêmes relations agonistiques et affiliatives qu’un chien féral au sein d’une de ses dyades ? On peut le penser – du moins à son échelle – lorsqu’on voit comment nos chiens domestiques se comportent pour acquérir un certain nombre de prérogatives, lorsqu’il s’agit d’avoir accès aux ressources : comme chez les loups et les chiens féraux, ces prérogatives concernent l’organisation des repas, la gestion de l’espace, et la gestion des contacts qui inclut la sexualité.
Quel intérêt pratique de savoir tout cela, me direz-vous ? Eh bien déjà, comprendre son chien, ce qui n’est pas rien. Mais surtout, savoir comment gérer Princesse (a fortiori, Tyson), si ceux-ci commencent à se croire dominants par rapport à certains membres de la famille : car si le dominé d’une dyade essaye de piquer la nourriture de son dominant, celui-ci ne sera pas content du tout du tout, et ne manquera pas de le faire savoir ! Eh bien ce sera pareil avec Tyson et sa maîtresse : si Tyson se prend pour le dominant de la dyade et qu’il voit sa maîtresse s’approcher son assiette, il risque de ne pas être content, et ce n’est jamais bien bon de mécontenter Tyson. Donc, si on sent qu’un certain flou s’installe à la maison côté hiérarchie, sachant que celle-ci n’est pas figée et que le dominant peut rapidement devenir dominé et vice-versa, il s’agira de reprendre au plus tôt les prérogatives que le chien s’est appropriées – et de les conserver ! On pourra suivre pour cela les indications exposées ci-après, en utilisant un langage, notamment corporel, compréhensible par le chien. (Voir l’article à venir sur la communication entre chiens).
L’accès à la nourriture
Dans le groupe canin :
Ce sont les dominants qui mangent en premier : il mangent lentement, jouissant du spectacle des autres chiens qui les regardent en attendant leur tour. Le dominant chipote, parfois il fait semblant de s’éloigner, puis revient et chasse d’un grognement ceux qui s’étaient rués sur la proie dès qu’il était parti. C’est seulement une fois repu qu’il s’en va pour de bon, et laisse manger les autres. A noter que comme on peut le voir sur les photos ci-dessus et le schéma ci-dessous, les chiens se montrent beaucoup plus agressifs et beaucoup moins partageurs que les loups ! La vidéo ci-dessous montre ce que ça peut donner chez le chien domestique.
Au milieu, il y a la proie, (enfin, sa carcasse), et tout autour, les dîneurs. Les petits carrés rouges représentent les individus les plus dominants, les petits carrés bleus, les autres, et la position du petit carré, l’endroit où chaque individu a passé le plus de temps. Le rayon du premier cercle, tout autour de la carcasse, a la taille d’un corps de loup ou de chien. On peut voir que chez les chiens féraux, les dominants qui mangent au centre, et les dominés qui regardent autour, ce n’est pas un mythe ! D’après Dale & Coll, Behav Ecol Sociobiol 71, 107 (2017).
Le petit York s’appelle Fibule, l’épagneul, Ran tan plan. Le York mange lentement : on le voit aux attitudes successives de RTP qui attend, avec un air de martyr, tandis que le repas de Fibule s’éternise (il y a des coupes dans la vidéo, ce n’est pas un plan séquence !). L’épagneul finit par se coucher, et se lèche le poignet, signe d’anxiété dans ce contexte. Une fois la gamelle vide, Fibule s’éloigne, et envoie un petit coup de dent en passant, histoire de bien en remettre une couche. Notons au passage que ce n’est pas le plus gros qui fait la loi… y compris dans les groupes chiens-humains : on peut voir de minuscules créatures de 2 kg tyranniser une famille entière !
Le chien ne doit pas manger juste avant ses propriétaires, et de préférence, pas dans la même pièce : les propriétaires mangent en premier, et le chien ensuite. Bon, évidemment, si le chien mange à 18 heures et ses propriétaires à 20 heures, ça ne posera pas de problème.
Les propriétaires ne regardent pas le chien manger, surtout si celui-ci chipote. Il ne faut surtout pas rester à côté d’un chien qui picore pour l’inciter à manger, voire lui donner les morceaux à la main, sous peine de recréer la « cour » qui entoure le chien dominant : on pose la gamelle par terre, et l’on sort de la pièce.
Le chien peut assister au repas de ses maîtres, mais en aucun cas il ne doit réclamer à table : jamais un chien dominant n’accepterait d’être interrompu par un chien subalterne pendant son repas, il n’y a qu’à revoir le schéma ci-dessus avec la carcasse et les cercles autour ! Les maîtres doivent se comporter de même. Si le chien réclame, on le remet à sa place avec un ordre simple (« Assis »), ou on le renvoie vers son panier – et on le félicite s’il a obéi. S’il est vraiment infernal, on le met dehors ou dans la pièce voisine pendant cinq minutes, puis on le laisse rentrer, et s’il recommence, on le remet dehors etc, jusqu’à ce qu’il ait compris. En revanche, s’il a été sage, on peut le récompenser : caresses, morceaux d’aliments que l’on va poser dans son assiette, une fois le repas terminé.
NB : on l’a déjà dit, mais une petite redite ne fait jamais de mal, et les deux remarques ci-dessous sont valables aussi pour les paragraphes suivants :
- Toutes ces actions doivent se faire en douceur, et avec des renforcements positifs – mais sans lui céder pour autant : on félicite le chien s’il obéit. Si on doit le mettre dehors parce qu’il réclame à table, dans les conditions décrites ci-dessus, c’est pour cinq minutes, et sans crier et encore moins lui taper dessus ! Il est juste exclu temporairement du groupe, et c’est déjà pas mal.
- Ces recommandations sont des principes généraux, c’est ce qu’il faut faire pour que le chien ait un cadre hiérarchique clair, et sache quelle est sa place par rapport aux autres membres de son « groupe ». Il est particulièrement important de les appliquer si le chien commence à poser des problèmes ayant un rapport avec la hiérarchie. Cela dit, si vous avez un vieux toutou qui vous a toujours obéi, qui n’a jamais posé aucun problème, et que ça vous fait plaisir de lui donner deux morceaux de fromage pendant que vous êtes à table… eh bien donnez-les lui, tout est une question de contexte.
(Presque) tout ce qu’il ne faut pas faire : le chien a accès à la table de sa propriétaire (gestion des repas), et l’envahit pour avoir quelque chose, lorsque ça ne vient pas assez vite (gestion des contacts – voir ci-dessous). En plus, tout cela est toléré de la part d’un chien… on va dire… compliqué !
La gestion de l’espace
Dans le groupe canin :
Les chiens dominants contrôlent l’espace : ils se couchent donc toujours dans des lieux d’où ils peuvent surveiller le groupe. Comme ils ont horreur des désertions, ils ne tolèrent pas que des membres du groupe s’éloignent. Et bien sûr, ils contrôlent aussi les arrivées.
Les deux mêmes : Fibule se précipite pour passer la porte avant RTP. Il le bloque en grognant lorsque ce dernier veut se déplacer. Et il l’agresse lorsque RTP veut rentrer dans la maison.
Applications au groupe humains/chiens :
Comme le chien dominant estime qu’on n’a pas à limiter son champ d’action et qu’il a horreur des désertions, il n’admet pas d’être laissé seul, enfermé dans une pièce, pendant que ses maîtres partent travailler ou faire des courses : cela se traduit par des aboiements furieux, et des destructions et/ou de la malpropreté généralement centrées sur les issues.
Le chien contrôle aussi l’accès au territoire, dont il a parfois une notion assez élastique : il s’estime investi de la mission de repousser ceux qui sonnent à la porte ou rentrent dans le jardin, mais souvent aussi ceux qui passent dans la rue, voire dans le quartier.
Pourquoi les chiens aboient-ils après le facteur ?
Le cas du facteur est intéressant à décrypter : voilà une personne un peu bizarre (du point de vue du chien), avec une casquette sur la tête, qui, avec obstination, s’approche tous les jours de la limite du territoire, s’arrête un instant, bricole quelque chose… alors le chien aboie furieusement… et l’intrus s’éloigne aussitôt ! le chien a gagné, il a remis les choses en ordre et repoussé l’envahisseur. Il aboiera avec encore plus d’enthousiasme la prochaine fois ! Et cette récompense qu’est la fuite de l’intrus viendra renforcer les aboiements, jour après jour, pendant des années !
Pfff, ce chien, il est encore sur le lit !
Contrairement à ce que l’on croit souvent, le chien le plus « dominant » n’est pas forcément celui qui dort sur le lit, même si les lieux de couchage en hauteur ont une forte valeur hiérarchique et devraient, à ce titre, être évités. Le chien dominant contrôle l’espace, et se couche donc en travers des passages, ou dans des endroits d’où il peut voir un maximum de ce qui se passe dans la maison : au milieu des couloirs, devant la porte d’entrée le jour, en travers de la porte de la chambre la nuit. Il faut l’enjamber sans arrêt, il suit ses propriétaires partout, surveille tout ce qui se passe.
Un exemple vu en consultation comportementale : un berger allemand qui se couchait en travers de la porte de la chambre de sa maîtresse, lorsque le mari de celle-ci n’était pas là. Si la dame sortait de sa chambre pendant la nuit, le chien la suivait partout dans la maison, jusqu’à ce qu’elle retourne se coucher. Le chien reprenait alors sa place en travers de la porte. Dans ce cas de figure, l’animal contrôle les déplacements de sa maîtresse dans la maison, et se positionne clairement en numéro deux dans la hiérarchie familiale… car quand le mari de la dame était présent, le chien ne montait pas la garde en travers de la porte ! Un petit aparté à ce propos : le Chien a définitivement une vision très genrée du monde qui l’entoure : quand il arrive dans une famille, il se positionne souvent d’emblée en-dessous de l’homme, mais au-dessus de la femme et des enfants. (« Ce chien, quand je suis seule avec lui, il fait ce qu’il veut, mais quand son maître arrive, alors là, il obéit au doigt et à l’œil ! »… est une phrase que l’on entend souvent). Mais la hiérarchie étant, on l’a vu, très évolutive chez le chien, si le nouvel arrivant s’aperçoit que c’est Madame qui dirige dans la maison, ou simplement qu’elle ne lui laisse aucune prérogative, il la considèrera rapidement comme dominante… mais ça lui viendra un peu moins naturellement qu’avec Monsieur !
En conclusion, si on a un chien qui envahit l’espace, et en particulier se couche toujours en travers des passages, on ne l’enjambe pas, on l’envoie se coucher dans son panier. On peut aussi lui interdire l’accès à certaines pièces.
La gestion des contacts
Dans le groupe canin :
Un chien dominant a le droit de prendre contact avec les chiens de rang inférieur : jouer avec un mâle, saillir une chienne – seuls les dominants peuvent exprimer leur sexualité. En revanche, il est interdit à un chien subalterne de venir embêter le dominant : s’il l’approche, ce sera uniquement avec des attitudes de soumission (photos un peu plus loin). Il ne pourra pas non plus saillir une chienne (ou alors en se cachant bien !), ou aller interagir de façon trop démonstrative avec d’autres chiens du groupe : le chien dominant interviendra pour les séparer. Le dominant gère non seulement ses propres contacts, mais aussi ceux des autres !
Revoici Fibule et RTP. Si RTP veut aller voir de son maître, Fibule s’interpose fermement, et lui interdit de s’approcher. Une fois que RTP a renoncé et s’en est allé, Fibule s’assure bien de son départ, puis revient dans la maison, satisfait : tout est en ordre. Si RTP arrive tout de même à s’approcher de son maître et à lui faire des fêtes, Fibule l’attaque jusqu’à ce que l’épagneul abandonne et s’éloigne.
Applications au groupe humains/chiens :
Un chien qui s’impose, sollicite sans arrêt ses propriétaires, les envahit, contrôle leurs mouvements, s’interpose entre eux au point de les empêcher de se rapprocher l’un de l’autre ou de parler à quelqu’un d’extérieur au groupe… mais en revanche, n’admet pas qu’on vienne « l’embêter » quand il n’en a pas envie, se conduit comme un chien dominant : il est important de l’envoyer coucher-panier (en douceur si possible, mais fermement), à chaque fois qu’il prétend ainsi contrôler les contacts des membres du groupe. En revanche, les propriétaires peuvent l’appeler cinquante fois par jour pour que ce soit lui qui vienne se faire caresser : ce sont les propriétaires qui doivent être à l’origine du contact.
Voici Virgile, schnauzer nain de sept ans, qui a acquis de multiples prérogatives dans tous les domaines, (alimentation, espace, contacts), et n’hésite pas à menacer ou agresser ses propriétaires pour les faire respecter. Filmé ici pendant la consultation comportementale, il surveille les pieds de ses propriétaires, et réagit dès qu’il y en a un qui bouge. Pas besoin de mordre pour garder le contrôle de la situation, Virgile est sûr de sa position : il se contente de fixer les pieds, et d’aboyer quand il le faut.
Il est aussi important d’apprendre au chien, très jeune, à se laisser manipuler : le mettre sur le dos, regarder dans ses oreilles, lui brosser les dents (voir à ce sujet l’article de ce site sur la maladie parodontale), etc.
Il est évident qu’aucune démonstration sexuelle du chien devant ses propriétaires ne devra être tolérée, y compris en cas de saillie souhaitée par les propriétaires. Et on ne parlera même pas du chien qui vous attrape la jambe et commence à s’exciter dessus !
Attention, on le répète une fois de plus : il s’agit là de principes généraux, à appliquer avec discernement : si votre petit bichon qui n’a jamais posé aucun problème, vous grattouille un peu la jambe pour monter sur vos genoux, bien sûr, ne vous privez pas de le faire monter, pas besoin de le renvoyer dans son panier ! C’est la multiplication et l’intensité des exigences du chien, et son mécontentement lorsqu’on lui dit non, qui sont le signe d’un problème, et incitent à appliquer les mesures décrites ci-dessus.
Et si l’on veut un parfait exemple de chiens qui ont pris le contrôle des contacts vis à vis d’un (ou plusieurs) membre(s) de la famille, on peut jeter un coup d’œil à cette vidéo quelque peu… navrante ! Que l’on trouve mignon, rigolo, voire rassurant que le chien protège le bébé ou l’enfant de la maison, ça peut se comprendre. Mais quand le chien s’approprie littéralement le bébé au point de ne plus laisser personne l’approcher, c’est déjà plus problématique. Et si en plus, on fait semblant de frapper bébé pour rendre le chien encore plus enragé, là ça devient carrément stupide. Aucun des chiens de cette vidéo ne plaisante, certains sont puissants, et piétinent le bébé tellement ils sont furieux. Le jour où le chien dévisagera le cousin, voire la maman, qui a voulu prendre le bébé dans ses bras, on fera euthanasier le chien en se demandant comment un si gentil toutou a pu en arriver là. Et voilà. Donc les contacts, ce sont les propriétaires qui les gèrent, pas le chien.
Les agressions liées à la hiérarchie
On parle de sociopathie lorsque les relations entre les membres du groupe humains-chien sont altérées de façon pathologique, par une perte des repères hiérarchiques.
Une fois qu’un chien a bien intégré sa position de dominant par rapport aux autres membres du groupe, s’il dispose de prérogatives étendues et anciennes dans les domaines de l’alimentation, de l’espace et des contacts, il s’y accroche comme à des avantages acquis. Et après, c’est comme chez nous : toute remise en cause des avantages acquis, peut donner lieu à des réactions agressives.
Les agressions caractéristiques des troubles hiérarchiques sont :
– les agressions territoriales : le chien menace ou mord les visiteurs qui « envahissent » son territoire. Il peut grogner, voire mordre, lorsqu’il est installé quelque part, et qu’on prétend le faire déguerpir ; (d’une chambre où il n’a pas le droit aller, du couloir où il gêne le passage…)
– les agressions hiérarchiques : le chien menace ou mord si on porte atteinte à l’une de ses prérogatives : si on veut l’obliger à faire quelque chose qui ne lui plaît pas, si on touche son lit ou son assiette, si les membres de la famille prennent contact entre eux alors qu’il n’en a pas envie : voir un peu plus haut, le lien vers la vidéo montrant des chiens qui protègent « leur » bébé.
– les agressions par irritation : si on veut le brosser ou lui regarder les oreilles, voire le caresser, à un moment où il a envie d’être tranquille. Un exemple courant d’agression par irritation est le chien mal socialisé aux humains, qui a peur des inconnus ou de certains types de personnes, (les hommes plutôt que les femmes, les gens en uniforme…), et les contourne pour aller leur mordre le mollet par derrière avant de s’enfuir, éventuellement en continuant à grogner de loin.
La morsure peut être unique et peu vulnérante chez un chien sûr de sa position hiérarchique (c’est un simple rappel à l’ordre : pan sur les doigts !), ou multiple et incontrôlée chez un chien craintif, et qui n’est pas encore sûr dans sa tête d’être vraiment le chef !
Comme Virgile un peu plus haut, Elvis, bouledogue français de cinq ans, dispose également de prérogatives dans tous les domaines mais, moins sûr de lui, il mord (parfois fort), pour les faire respecter. En consultation comportementale, on se rend compte facilement de l’anxiété qui accompagne son agressivité, (regard de côté, aboiements en restant dans les pieds de sa propriétaire, coups d’œil vers celle-ci pour vérifier qu’elle est toujours là…), ceci expliquant évidemment cela. L’auteur de la vidéo a bien failli y laisser un doigt !
Comment faire respecter la hiérarchie ?
On a donné des éléments de réponse dans chaque paragraphe de cet article : quelle conduite adopter par rapport à l’alimentation, etc. Donc, juste quelques conseils généraux pour compléter :
Dans un groupe de chiens, quand un chiot embête un peu trop sa mère ou ses frères, en gros, quand il saoule tout le monde, sa mère le prend par la peau du cou et le secoue. Elle peut aussi le retourner sur le dos, et le maintenir ainsi quelques instants. Eh bien, rien de mieux pour se faire comprendre d’un chiot qui dépasse les bornes, que d’employer le langage de son espèce. Bon, alors attention, on ne va pas le secouer comme un prunier, on le suspend par la peau du coup, deux petites secousses… Normalement, un chiot bien socialisé se calme quasi instantanément dans cette position, comme s’il était hypnotisé. Sinon, on peut aussi le mettre sur le dos, et le maintenir ainsi en lui grattant le ventre, jusqu’à ce qu’il se soit calmé.
Le chien adulte, lui, sera marginalisé : les chiens dominants ont plutôt tendance à se trouver au centre du groupe, tandis que les chiens subalternes les évitent et se tiennent un peu à l’écart. (Voir plus haut, la répartition des chiens autour d’une carcasse). Si l’un des dominés outrepasse ses droits et vient embêter un chien situé plus haut que lui dans la hiérarchie, un grognement renverra vite fait l’importun à distance, en périphérie du groupe. La meilleure façon de se faire comprendre d’un chien qui exagère est d’utiliser le même type de punition : on marginalise le chien en l’envoyant, par exemple, se coucher dans son panier situé dans un angle de la pièce, loin des passages et des lieux de vie où sont installés les membres de la famille (photo ci-contre). Une fois qu’il est rentré dans son panier, on le félicite sans insister plus que ça.
On s’est montré trop envahissant, alors zou ! au coin ! et on reviendra dans cinq minutes, quand on sera calmé.
S’il veut revenir après quelques minutes, pas de problème, mais s’il recommence tout de suite à embêter tout le monde : retour au panier ! (Ou dans la pièce voisine, voire dehors cinq minutes si nécessaire). Les ordres seront donnés en utilisant le « langage » du chien dominant : regard sur la ligne du dos, silhouette élargie, voix grave, attitude figée… tout cela sera à lire dans la page Comportement : La communication chez le chien… quand elle sera écrite !
Ces conseils sont faciles à mettre en œuvre chez la plupart des jeunes chiens. Certains sont tout de même coriaces, avec une forte tendance à essayer de prendre le pouvoir, sans parler des adultes, aux prérogatives déjà bien ancrées. On l’a vu, il peut être difficile de retirer à un chien ses « avantages acquis », ceux qui voient contester leurs prérogatives pouvant devenir agressif et dangereux : la hiérarchie devra alors être remise en place en se faisant aider par un(e) éducateur/trice, ou bien dans le cadre d’une consultations de comportement avec un(e) vétérinaire, en utilisant si nécessaire des médicaments pour diminuer l’agressivité du chien et en faciliter le contrôle.