« Ceux qui jouent avec les chats doivent s’attendre à être griffés. »
Cervantes
Mon chat m’a mordu(e) !!
Le chat est domestiqué depuis moins de dix mille ans, ce qui est peu, comparé par exemple au chien. Il a, de plus, été peu modifié par la domestication, et n’a subi que très peu de sélection : pendant ces quelques millénaires de cohabitation, il a vécu à côté des humains plutôt qu’avec eux et sous leur influence. Par nature, il a besoin d’activité physique, de stimulations mentales, d’informations sensorielles, notamment olfactives, d’un territoire dans lequel il se sente en sécurité, et de respect. Or, nos petits félins, notamment ceux qui ne sortent pas, doivent souvent se contenter d’un environnement peu stimulant, où nous leur imposons le lieu et la nature de la nourriture et de la litière, un espace limité, la présence d’humains ou d’autres animaux, la densité de population, et des contacts dont, parfois, ils se passeraient bien. Pas étonnant, dans ces conditions, qu’un animal aussi réactif que le chat développe parfois envers nous des comportements agressifs.
Activité physique, stimulations mentales, informations sensorielles, territoire… A priori, pour celui-ci, tout va bien !
Ceux-ci peuvent paraître bénins, voire amusants, quand un chaton joue avec les doigts, ou quand un chat se cache derrière une porte et envoie un petit coup de patte dans la cheville de la première personne qui passe à sa portée. Si le chat saisit la cheville avec ses griffes et y plante vigoureusement ses crocs, la situation devient tout de suite moins amusante. Elle peut devenir franchement dangereuse lorsque le chat attaque régulièrement et sans contrôle, se cache sur un meuble pour griffer la tête de ceux qui passent en-dessous, ou monte la nuit sur le lit, se met à l’affût, et attaque tout ce qui bouge, pieds, mains, ou même visage.
Nous décrivons dans cette fiche les principaux types d’agression des humains par les chats, chaque description étant suivie de quelques conseils de bon sens pour y remédier. Ces conseils ne seront suffisants que pour des problèmes débutants ou des situations peu dangereuses. Si le chat a déjà blessé quelqu’un, ou que les agressions durent depuis plusieurs mois, quelques « trucs et astuces » ne suffiront pas : il faudra alors présenter le petit fauve en consultation de comportement, afin d’appréhender le problème dans son ensemble. Sous de « simples » agressions se cache souvent un état anxieux, dont il faudra déterminer les causes afin de pouvoir les traiter, le plus souvent avec l’aide de médicaments. Ceux-ci ne sont en aucun cas une camisole chimique : ils diminuent l’impulsivité de l’animal, et permettent de commencer la prise en charge et les modifications du milieu de vie du chat, plus efficacement, et en toute sécurité.
Les différents types d’agression
1 – Agressions par prédation :
L’anxiété des milieux clos :
Dans la nature, un chat chasse en moyenne trois heures par jour, particulièrement au coucher du soleil, et il s’agit pour lui d’une activité très motivante. Il fait ainsi une douzaine de petits repas par jour, (un lézard, une sauterelle, un mulot, un autre lézard, zut ! j’ai raté l’oiseau…), séparés par des périodes de repos (photo ci-dessous : l’affût devant l’entrée d’un terrier).
Un chat qui vit le plus souvent enfermé, surtout s’il est né ou a vécu à l’extérieur, va donc « chasser » ce qu’il a sous la main, à savoir les chevilles des humains qui vivent dans la maison : comme pour attraper une souris, il se tapit, (par exemple derrière une porte), rampe, et bondit sur sa proie. Ces agressions ont lieu le plus souvent le soir (le coucher de soleil dont on a parlé) ou la nuit, quand le chat qui dort sur le lit voit bouger un pied… ou une oreille ! On peut prévenir ces attaques en laissant sortir le chat (c’est l’idéal), ou en enrichissant son milieu de vie en jouets qui lui permettent de courir, grimper et attraper (mobile qui tourne, fontaine à eau, tunnel, arbre à chats avec grattoir, souris en peluche…). On peut reproduire (partiellement) un comportement de chasse en cachant des croquettes sous les meubles ou dans des jouets (par exemple, un pipolino) pour que le chat occupe une partie de sa journée à les chercher. La nourriture doit être suffisamment riche en protéines (voir ci-dessous le syndrome du tigre), et distribuée en plusieurs prises dans la journée, pour reproduire la douzaine de petits repas pris par le chat dans la nature.
Le syndrome du tigre :
Agression par irritation, agression par prédation, agression liée à l’alimentation… le syndrome du tigre est une agressivité déclenchée par la faim, pour cause d’alimentation carencée, ou plus souvent d’une distribution inadaptée. Si le chat a faim, parce qu’on lui donne des aliments de mauvaise qualité, en particulier pauvres en protéines, ou parce qu’on ne lui donne qu’un ou deux gros repas par jour et qu’il se sent au régime le reste du temps… alors il se montrera impatient et excité, voire agressif, pendant la préparation des repas, ou bien développera des agressions prédatrices telles que décrites au paragraphe précédent dans l’anxiété des milieux clos (au crépuscule, avec affût…). Le problème se résoudra en général facilement, en changeant l’aliment de mauvaise qualité pour des croquettes ou des boîtes de type « premium », riches en protéines, distribuées en nombreux petits repas (si nécessaire à l’aide d’un distributeur) ou, mieux, en libre-service. À moins que le problème ne soit trop ancien, et l’habitude d’agresser déjà bien ancrée ! (voir plus loin l’instrumentalisation).
… et la mauvaise socialisation aux humains :
Certains chats, qui n’ont pas tout compris, s’imaginent que tel ou tel humain, auquel ils n’ont pas été habitués lorsqu’ils étaient jeunes… n’est pas un humain, mais une sorte de gros lapin ou de gros oiseau. Il est vrai que dans l’esprit d’un chat peu socialisé aux humains, un bébé qui rampe en gazouillant sur le tapis, cela peut prêter à confusion ! Ce genre de situation est évidemment très dangereux, mais pas de panique, ce n’est pas le cas de figure le plus fréquent. Profitons-en au passage pour tordre le cou à un certain nombre d’idées reçues, comme l’histoire totalement farfelue du chat qui monte dans le berceau du bébé, et s’assied sur son visage avec l’objectif plus ou moins conscient de l’étouffer ! Un peu de bon sens suffira à l’arrivée d’un bébé à la maison (ne pas laisser le chat et le bébé dans la même pièce sans surveillance, surtout au début…) : pas la peine d’aller abandonner le chat au fin fond de la forêt sous prétexte que sa maîtresse est enceinte !
2 – Agressions par jeu :
Normalement, le jeu ne cause pas de blessure, et ne fait pas intervenir, chez le chat, des émotions telles que la peur ou l’agressivité. Si le jeu se termine par de véritables agressions, c’est que le chat ne sait pas se contrôler, (cas d’un syndrome hypersensibilité – hyperactivité (HSHA) auquel sont particulièrement exposés les chatons orphelins (photo ci-contre), qui n’ont pas été régulés par leur mère), ou bien vit en milieu fermé, alors qu’il a passé ses premières semaines de vie en liberté à l’extérieur (voir plus haut), ou encore n’a pas appris à jouer convenablement.
Il faut alors faire comprendre au chaton que dès qu’il s’énerve ou agrippe les mains d’une façon un peu trop énergique… le jeu s’arrête. Dans le cas d’un chaton qui aurait un peu trop tendance à planter ses griffes ou ses dents dans une main ou dans un pied, le jeu peut aussi être redirigé vers un objet (jouet, ficelle…), plus acceptable !
Plus de conseils dans l’article de ce site consacré à l’éducation du chaton.
3 – Agressions territoriales :
Ces agressions sont déclenchées par l’entrée d’un intrus, (par exemple un nouveau venu dans la maison), sur le territoire d’un chat, a fortiori si celui-ci est un mâle, et qu’en plus, il n’est pas trop bien socialisé.
Cette intrusion déclenche une agression offensive assez typique, avec marche en crabe, queue ébouriffée et agitée, feulements… éventuellement suivie de l’attaque au sens strict, avec morsures et griffures. Une fois l’intrus mis en fuite, le chat le poursuit jusqu’à la limite de son territoire.
La réaction à l’entrée dans le territoire peut aussi être une agression défensive (paragraphe suivant).
Autre type d’agression territoriale, Les agressions entre chats de la même maison sont traitées à la fin de l’article de ce site sur le territoire chez le chat.
4 – Agressions défensives :
Le chat se défend contre ce qui lui semble désagréable, douloureux, ou menaçant. Il a besoin de maintenir une « distance de sécurité » entre lui-même, et ce qu’il perçoit comme une menace. Lorsqu’une « distance critique » est franchie, le chat ne fuit plus, mais se bat pour défendre sa vie : dans un premier temps, il se recroqueville en crachant, pupilles dilatées, oreilles couchées et poils hérissés. Si la menace se précise, le chat bascule sur le côté, dents et griffes sorties. (Photo ci-dessous)
Un conditionnement s’installe très facilement : si un humain réalise tous les jours une manipulation douloureuse sur un chat, (nettoyage d’une plaie, injection ou administration d’un comprimé, par exemple), l’animal apprendra rapidement à devenir agressif à la vue de cette personne, et l’agressivité pourra persister une fois le traitement terminé. Le fait que la personne renonce si le chat crache, renforce encore cette agressivité. Autre évolution possible : l’instrumentalisation. Il s’agit d’un mécanisme par lequel un comportement, du fait de sa répétition, perd sa séquence normale phase appétitive / phase consommatoire / phase d’apaisement. Dans le cas d’une agression instrumentalisée, le chat ne prévient plus qu’il va attaquer par des feulements ou un hérissement des poils, (disparition de la phase appétitive), mais attaque directement (d’emblée, la phase consommatoire). Ces agressions instrumentalisées sont plus dangereuses, et plus difficiles à faire disparaître. Les agressions défensives peuvent aussi se généraliser en agressions redirigées (voir plus loin). Les agressions défensives se corrigent en éliminant les sources de peur, de préférence en prenant en compte l’anxiété du chat dans son ensemble. Il faut évidemment éviter de réagir en punissant le chat, ce qui l’effraierait encore plus
5 – Le chat caressé/mordeur :
Certains chats viennent se frotter contre leur propriétaire, montent sur les genoux, réclament des caresses, mais après quelques minutes, ils commencent à émettre de discrets signaux d’irritation (battements de la queue, aplatissement des oreilles…), avant de brusquement se raidir, griffer ou mordre, et s’enfuir tout ébouriffés. Ce type d’agression est extrêmement traumatisant pour le propriétaire, qui ne comprend pas l’attitude contradictoire de son chat. Plusieurs explications sont proposées : il semble que certains chats apprécient la proximité des humains, mais ne souhaitent pas être touchés (en cas de mauvaise socialisation, notamment). D’autres peuvent apprécier certaines caresses, (sur la tête et les joues), mais ne pas supporter un contact sur le dos ou les flancs : question de caractère, de douleurs chroniques, d’irritation, d’électricité statique… La solution la plus simple consiste à rompre le contact (par exemple en se levant), dès le premier signe précurseur, et à identifier et respecter les désirs de son chat : ne pas le caresser plus longtemps qu’il n’en a envie (on apprend avec le temps qu’il ne faut pas dépasser 30 secondes, 45 secondes…), ni sur les parties du corps qu’il ne veut pas qu’on touche. Si le problème est gênant, les agressions sévères, ou que d’autres troubles du comportement sont présents, l’association de médicaments et de techniques de désensibilisation ou de contre-conditionnement peut donner de bons résultats.
6 – Agressions redirigées :
Voilà encore une particularité, pour ne pas dire une bizarrerie, typiquement féline. Il s’agit d’une attaque sur un individu qui n’est pas celui qui a provoqué l’agressivité, au prétexte que ce dernier est inaccessible ! Exemple type : votre matou voit passer, derrière la baie vitrée du salon, l’affreux chat du voisin qui le nargue régulièrement. Ne pouvant pas l’atteindre, puisque la vitre est fermée, c’est vous qu’il attaque, puisqu’il vous a sous la main ! Autre exemple : votre chat est effrayé par un bruit violent (une casserole qui tombe par terre tout près de lui, dans la cuisine). Au lieu de s’enfuir, il peut vous mordre sévèrement le mollet, si vous avez le malheur de vous trouver dans les parages. Plus étonnant : il peut exister un délai important entre le stimulus (le chat derrière la vitre), et l’attaque sur le propriétaire : parfois plusieurs heures ! Plus étonnant encore, il peut arriver que par la suite, le même évènement déclenchant, (grand bruit dans la cuisine ou vue d’un chat extérieur), conduise l’animal à vous rechercher pour vous agresser ; voire même que votre simple présence sur le lieu de la première agression (près de la baie vitrée ou dans la cuisine – mais en l’absence du stimulus : chat du voisin ou chute de la casserole), suffise à provoquer une nouvelle attaque !
Comme dans ces deux exemples, les agressions territoriales et les agressions par peur sont les plus susceptibles d’être redirigées, le plus souvent de la part de chats adultes mâles.
Dieu merci, tous les chats ne pratiquent pas l’agression redirigée. Pour ceux qui sont coutumiers du fait, il conviendra de se méfier lorsqu’on les voit agités, à l’affût, la queue hérissée ou battante… Dans ce cas, il sera prudent de se tenir à distance ! En revanche, si le chat est visiblement passé à autre chose (toilettage ou jeu…), on pourra alors l’approcher sans risque. Mais de toute façon, une consultation comportementale sera à envisager, pour prendre en charge son trouble anxieux !
7 – Agressions pathologiques :
Votre chat attaque sans raison, sauvagement et sans retenue : il faut obligatoirement le présenter en consultation : d’abord parce que cela peut être dangereux, ensuite parce qu’il ne s’agit plus alors de comportements certes inadaptés, mais quelque part « normaux », comme la plupart de ceux que nous venons de décrire, pour peu que l’on fasse l’effort de se mettre cinq minutes dans la peau (ou dans la tête) d’un chat : votre animal souffre probablement d’un véritable trouble du comportement, (syndrome HSHA, mauvaise socialisation aux humains, trouble anxieux important…), peut-être même d’une maladie psychiatrique (dysthymie, par exemple), qu’il convient d’identifier et si possible, de traiter.
Mieux vaut prévenir que guérir
D’abord, en choisissant un chaton bien socialisé aux humains… sans condamner pour autant un chaton mal socialisé ! pris assez tôt, ça peut encore s’arranger. (photos ci-dessous : évaluation de la socialisation par le réflexe de portage, et son évolution sur cinq jours) ; en le manipulant souvent, et de façon douce et agréable, notamment avant l’âge de deux mois (période sensible, période de l’empreinte, pendant laquelle un chaton non socialisé peut encore le devenir) ; en lui apprenant à jouer avec des balles ou des ficelles, mais en arrêtant le jeu dès que le chaton commence à s’exciter et à mordre ou à griffer les mains ou toute autre partie du corps d’un humain ; en faisant vivre le chat dans un milieu riche en stimuli, avec si possible un accès à l’extérieur, notamment s’il a passé ses deux premiers mois de vie dehors, et en le nourrissant en plusieurs repas par jour. Plus généralement, en apprenant à reconnaître et respecter les besoins et habitudes de son chat, notamment les moments où il veut des caresses, les moments où il a envie de jouer, et les moments où il veut absolument qu’on le laisse tranquille
Réflexe de portage, pour évaluer la socialisation d’un chaton. Chez ce chaton de cinq semaines, ayant vécu jusque-là à l’état sauvage et d’ailleurs assez mal en point lorsqu’il nous a été présenté, la socialisation laisse visiblement à désirer. La suspension par la peau du cou transforme le chaton en un vrai tourbillon, qui se tortille toutes griffes dehors. La vie en maison, avec des humains, risque a priori d’être compliquée… mais n’allons pas trop vite !
Photo de gauche : ce chaton, suspendu par la peau du cou, se recroqueville, la queue entre les pattes et les yeux un peu vitreux ; il ne se débat pas. Le test de portage indique une bonne socialisation, bien qu’il s’agisse, en l’occurrence, d’un chaton orphelin. Et puis à droite, la preuve qu’il ne faut pas tirer de conclusion hâtive, avec cette image montrant l’évolution du chaton présenté juste au dessus : les photos du haut avaient été prises le lendemain de son admission, celle-ci après cinq jours de soins, gavage et maternage : le chaton adopte alors la même position que celui de la photo de gauche : recroquevillé, queue entre les pattes et œil vitreux. Preuve qu’avec de l’attention et des manipulations adaptées, la socialisation peut encore se produire chez un chaton catalogué sauvage, surtout avant la fin de la période sensible (= les deux premiers mois de vie chez le chat) – évidemment, il ne faut pas attendre que notre incontrôlable félin ait six mois ou un an pour commencer à s’en préoccuper !