Il en va des chiens comme des humains : on vit avec un chien pendant des années sans se poser de question, et puis un jour, on se rend compte que ça fait un moment qu’il ne joue plus avec sa balle, que les promenades sont de plus en plus courtes ; on n’a rien vu venir et tout d’un coup, on réalise que notre chien est vieux. Pourtant, on devrait le savoir, ce n’est pas notre premier chien, on sait qu’ils vivent beaucoup moins longtemps que nous… mais on ne s’y fait pas, et c’est comme ça.
A partir de quel âge un chien est-il vieux ? Epineuse question. De toutes les espèces animales, le chien domestique (Canis lupus familiaris) est probablement celui qui présente la plus grande variabilité génétique, avec plus de 400 races génétiquement différentes, donnant lieu à des variations considérables en termes de morphologie, de comportement, de physiologie… et bien sûr, de durée de vie. Les publications visant à établir une durée de vie moyenne, notamment en fonction de la race, donnent souvent des résultats discordants. Il est néanmoins acquis que les petites races (Chihuahua, Border terrier, Papillon…) ont une durée de vie moyenne supérieure aux races grandes et surtout géantes (Bouviers bernois, Cane corsos, Dogues allemands, Mastiffs…), et aux races brachycéphales (Bouledogue français et English bulldog notamment). Et qu’un Chihuahua sera donc, le plus souvent, encore très en forme à 10 ans, alors qu’un Cane corso de 5-6 ans commencera à montrer des signes de fatigue.
Petite précision : l’objectif de cet article est de recenser les principales difficultés rencontrées par le chien vieillissant, à la fois sur le plan physique et sur le plan psychique (cognitif, émotionnel….), et de proposer quelques solutions simples pour aider notre vieux compagnon à apprécier la vie le plus longtemps possible. On parlera donc essentiellement ici des petits soucis du vieux chien « normal », qui a du mal à se lever le matin, qui perd un peu la tête… Les « vraies » maladies touchant préférentiellement les chiens âgés (insuffisance rénale chronique, insuffisance cardiaque, hyperplasie prostatique…), seront citées comme devant être différenciées de simples manifestations de vieillissement, mais ne seront pas traitées en détail. Certaines d’entre elles feront l’objet d’un article séparé, dans le menu « Maladies ».
Le corps qui vieillit
Quand on est vieux, on court moins vite, on entend moins bien, et on a plus de mal à lire le journal sans lunettes. C’est pareil chez le chien, (sauf pour le journal), et c’est normal. Cela pose néanmoins deux questions : 1) quelles sont les répercussions sur la qualité de vie ? et 2) on a beau dire que c’est normal… mais s’il y avait quelque chose de plus grave là-dessous ? Voyons donc cela de plus près.
Mon vieux chien boite
On entend souvent dire qu’à partir de cinquante, soixante, soixante-dix ans… (selon l’âge de celui qui parle), si on n’a pas mal quelque part quand on se lève le matin, c’est qu’on est mort. Ce n’est sans doute pas tout à fait faux ; de même qu’il est normal que votre médecin vous dise, en regardant vos radios des hanches : « Ah, ben vous avez un peu d’arthrose »… et tout cela est valable aussi pour le chien. Donc, que notre vieux compagnon montre une certaine réticence à se lever, que le démarrage soit un peu compliqué, même s’il a vu la laisse et qu’il remue la queue, qu’il boitille un peu à certains moments de la promenade… pas de quoi s’affoler, lui non plus ne rajeunit pas. Après, tout est une question de degré : si on trouve que la gêne commence à nuire à sa qualité de vie, il est peut-être temps de se poser la question de la mise en place d’un traitement anti-douleur / anti-inflammatoire, d’en évaluer le rapport bénéfices / inconvénients. Et si une boiterie ou une difficulté à se lever deviennent franchement marquées, surtout si elles sont d’apparition brutale, qu’elles s’accompagnent d’une baisse de forme ou d’une perte de poids, qu’elles ne touchent qu’un seul membre dont les muscles (donc, la circonférence) ont fondu, ou encore qu’une masse est apparue quelque part sur un membre… alors là, on n’est plus dans le cas de figure du vieux chien qui a juste un peu de mal à se lever le matin, et on a intérêt à consulter rapidement !
Ci-dessus : arthrose vertébrale modérée chez un chien de huit ans : présence de « becs » sur le bord ventral des vertèbres lombaires (flèches noires ; la flèche blanche indique un espace inter-vertébral normal). A ce stade, l’arthrose vertébrale est peu, voire pas du tout gênante pour le chien. Seuls les becs se rejoignant pour former un pont, (ici entre la dernière vertèbre lombaire et le bassin : la flèche noire à gauche de la radio), peuvent provoquer une douleur. Ci-contre : radiographie d’un coude arthrosique. Cette lésion-ci doit être plus handicapante pour le chien !
Il a les yeux tout bleus !
Des yeux qui bleuissent, ou qui blanchissent, c’est selon, en tout cas, quand on regarde son chien, ça lui fait des yeux bien opaques. On a tout de suite tendance à penser qu’il s’agit d’une cataracte ; en fait, chez le vieux chien, il s’agit plus probablement d’une sclérose cristallinienne. Il faut savoir que le cristallin produit de nouvelles cellules pendant toute la vie du chien. Au fil des années, celles-ci s’accumulent, se compactent – parce que la place est tout de même limitée là-dedans ! – et finissent par s’altérer, faisant perdre au cristallin sa transparence. Il y a aussi des protéines solubles (les cristallines – comme l’eau minérale), qui deviennent progressivement insolubles. Et tout cela finit par donner au cristallin cet aspect voilé, opalescent, mais malgré tout homogène.Dans le cas de la cataracte, ce sont des opacités qui se forment à l’intérieur du cristallin, qui prend un aspect blanc, beaucoup plus opaque, avec des lignes de suture qui deviennent visibles.
A gauche, une sclérose cristallinienne chez Fibule, 14 ans, ici à sa sortie du bain. Les yeux sont tout bleus, mais d’aspect homogène, et le chien y voit toujours bien – d’ailleurs, si on approche la main, il y a de fortes chances qu’il la morde ! A droite : une « vraie » cataracte avec un cristallin blanc, d’aspect hétérogène, avec des taches plus opaques.
Alors, est-ce que mon vieux toutou a une sclérose cristallinienne, ou une cataracte ? Comme il est vieux, si en plus ça évolue très lentement et qu’il y voit toujours (car le cristallin conserve sa transparence, au moins pendant une longue partie de l’évolution), c’est probablement une sclérose. La cataracte, elle, peut apparaître à tout âge, (la maladie du vieux chien, c’est la sclérose, pas la cataracte), elle évolue vite, et en pas longtemps, le chien n’y voit plus. Attention quand même, une sclérose cristallinienne peut se compliquer d’une cataracte d’évolution lente, qui peut induire une perte de vision.
Bon, donc notre vieux chien a une sclérose cristallinienne : qu’est-ce qu’on fait ? Eh bien… pas grand chose. Déjà, parce qu’en général, la vision n’est pas – ou peu – altérée, du coup, pas besoin d’opérer… ce qui tombe bien, vu que contrairement à la cataracte, la sclérose ne s’opère pas. Après, il existe des traitements pour ralentir l’évolution, à base de nutriments entrant dans le métabolisme du cristallin, et d’antioxydants : ça ne peut qu’aller dans le bon sens, mais leur efficacité n’est pas scientifiquement démontrée.
Dernière précision : on l’a vu, un œil qui devient très lentement opalescent, chez un chien de dix ans ou plus qui continue à bien y voir, ça a toutes les chances d’être une sclérose et non une cataracte. Cela dit, c’est toujours bien de faire confirmer (ou pas !) par son vétérinaire : en effet, s’il s’agit, contre toute attente, d’une cataracte et non d’une sclérose, ne pas l’opérer rapidement peut constituer une perte de chance pour la conservation de la vision.
Il tousse, il s’essouffle…
Bon, ce n’est pas un scoop, on court plus vite et plus longtemps à vingt ans qu’à cinquante – du moins, en général. Il est assez normal que notre vieux setter de treize ans fasse la balade en marchant à côté de nous, alors que quelques années plus tôt, il passait des heures à courir après tout ce qui pouvait ressembler à un lapin. Même chose s’il tousse une fois de temps en temps, que ça fait des mois, voire des années, que c’est comme ça, et que la fréquence de la toux n’augmente pas… Pas de quoi s’affoler non plus.
Evidemment, ce ne sera pas la même chose si les symptômes sont plus marqués, s’aggravent rapidement, et/ou impactent la qualité de vie. Si le vieux setter traîne cinquante mètres derrière ou qu’il ne veut plus du tout venir se promener, si la respiration de votre labrador de dix ans est de plus en plus rauque, si votre vieux York tousse non stop ou que votre vieil épagneul s’essouffle et halète au moindre effort… On aura intérêt à consulter, et même bien avant d’avoir atteint ces stades-là ! Une paralysie laryngée, une bronchite chronique sévère, un collapsus trachéal, une insuffisance cardiaque voire des tumeurs sont, certes, des affections qui touchent de préférence les chiens âgés, mais qui ne font pas partie pour autant du vieillissement normal du chien.
A gauche : radiographie thoracique montrant un collapsus trachéal quasiment complet : la lumière de la trachée a quasiment disparu au niveau de la flèche, donc l’air ne peut plus passer et arriver jusqu’aux poumons ! Pour ne rien arranger, cette affection est souvent associée, chez les petits chiens âgés, à une bronchite chronique et une maladie dégénérative de la valve mitrale du cœur… ce qui fait qu’on se retrouve souvent avec un vieux chien qui a (au moins) trois bonnes raisons d’être essoufflé et de tousser. A droite, une paralysie laryngée mise en évidence par endoscopie, chez un Westie de 9 ans : le larynx reste complètement fermé, même pendant l’inspiration : il ne reste qu’une minuscule ouverture pour laisser passer l’air (flèche) (plus d’images de paralysie laryngée sont visibles dans l’article de ce site consacré à l’endoscopie). Ces deux affections touchent plutôt les chiens âgés… mais ne sont pas des manifestations normales du vieillissement. Donc si un chien, même âgé, tousse fréquemment, est facilement essoufflé, doit forcer pour respirer, et/ou que ça fait des bruits anormaux quand il respire, (en tout cas, des bruits qu’il n’y avait pas avant)… alors il est urgent de consulter !
Il fait ses besoins dedans !
Il arrive qu’un vieux chien qui a été propre toute sa vie se remette à faire ses besoins (notamment ses urines), à l’intérieur… et alors, c’est bien embêtant. Cela peut se produire de différentes façons : les urines peuvent sortir toutes seules pendant que le chien dort, auquel cas on le retrouvera le matin sur une couverture ou dans un panier complètement trempés. Il peut aussi perdre des gouttes d’urine en marchant, ou bien se mettre en position, et uriner et/ou déféquer tout naturellement dans la maison, sans avoir l’idée de demander à sortir. Ce dernier cas est généralement dû à un état confusionnel : on en reparlera plus loin avec les manifestations comportementales du vieillissement. Les urines qui sortent toutes seules correspondent à de l’incontinence : celle-ci peut être due en premier lieu à une baisse de tonus des sphincters. Le risque est, bien sûr, augmenté, chez les animaux qui avaient déjà une tendance à l’incontinence à l’âge adulte, à savoir certaines chiennes stérilisées, particulièrement dans les races de grande taille. Bon, ce n’est pas bien agréable… mais c’est une des conséquences du vieillissement, que l’on retrouve malheureusement aussi dans l’espèce humaine ; et concernant la baisse de tonus des sphincters, il existe des traitements qui permettront de le renforcer, au moins dans certains cas.
Bon, tout ça c’est très bien, mais il faut savoir qu’un certain nombre de maladies, dont plusieurs plus fréquentes chez l’adulte mûr ou chez le chien âgé, peuvent aussi conduire un animal propre jusque-là, à se mettre à faire ses besoins dans la maison. On ne va pas toutes les énumérer, ce n’est pas le sujet, mais on citera en particulier l’insuffisance rénale chronique, et des maladies endocriniennes comme le diabète et le syndrome de Cushing : dans ces trois affections, le chien boit davantage (= polydipsie), avec comme conséquence… qu’il urine davantage (= polyurie). Et quand on a une vessie pleine à exploser, soit on ne tient pas jusqu’au matin, et on finit par uriner dans la maison, soit c’en est trop pour des sphincters vieillissants, et la vessie se vide toute seule pendant le sommeil, sous l’effet de la pression.
Donc, si notre vieux chien se (re)met à faire ses besoins dedans, il se peut que ce soit – si l’on peut dire – « normal » vu son âge, mais il sera tout de même bien de vérifier que rien de plus grave ne se cache là-dessous : une goutte d’urine sur une bandelette urinaire, une autre dans un réfractomètre pour en mesurer la densité… sont des examens basiques qui nous permettront déjà de faire un premier tri (photo ci-dessous). Quitte à regarder ensuite l’appareil urinaire d’un peu plus près, notamment par échographie.
Il est sourd comme un pot !
On a gardé le meilleur pour la fin : la perte de l’audition est l’une des manifestations les plus courantes du vieillissement chez le chien. Elle en est aussi l’une des plus frappantes, dans la mesure où elle semble souvent arriver d’un seul coup – en fait, elle s’installe progressivement, d’abord dans les moyennes et hautes fréquences, mais on ne s’en rend compte que quand le chien n’entend plus rien, ou presque : quand il ne lève plus la tête lorsqu’on l’appelle ou qu’on ouvre la boîte à biscuits, ou qu’il ne se réveille même pas alors qu’on a fait tomber une casserole juste à côté de son panier. On appelle presbyacousie ce déclin de la fonction auditive lié au vieillissement. Une atteinte de différentes régions du système ORL peut en constituer l’origine (destruction des capteurs ciliés, perte de neurones, problème de circulation sanguine ou de souplesse au niveau du tympan ou de la chaîne des osselets), mais en général chez le chien, c’est un peu de tout ça à la fois. A noter que sauf exception, les vieux chiens sourds ont des oreilles externes parfaites, alors que des chiens plus jeunes, présentés pour d’épouvantables otites, continuent à entendre tout à fait correctement : c’est normal, le problème vient de plus profond !
On pourra se dire qu’entendre moins bien – à défaut de devenir complètement sourd – est une manifestation normale du vieillissement, chez le chien comme chez l’humain (plus d’un tiers des personnes de plus de 65 ans sont atteintes de presbyacousie) ; et que ma foi, ça ne devrait pas traumatiser un vieux chien qui passe de plus en plus de temps à dormir dans son panier. Oui, sauf que… (et là, on fait le lien avec les manifestations comportementales du vieillissement, qui arrivent au chapitre suivant) :
Chez l’humain, le déclin cognitif est de 30 à 40% plus rapide chez les personnes qui souffrent de presbyacousie, avec comme conséquences possibles un isolement social, une dépression et globalement, une baisse de la qualité de vie. Le risque de démence sénile est également plus important chez ces personnes, comparé à d’autres facteurs de risque comme l’hypertension ou l’obésité. Evidemment, chez l’humain, il existe des aides auditives qui permettent d’éviter pas mal de ces inconvénients.
Chez le chien, une étude de 2022 a étudié les conséquences de la baisse d’audition sur la qualité de vie de 39 chiens dans les derniers 25% de leur durée de vie estimée (seniors), et au-delà (sujets gériatriques) : 19/39 de ces chiens pouvaient entendre des bruits de 50 décibels (dB), 12/39 n’entendaient que des bruits de 70 dB, et 8/39 de 90 dB. (Pour se faire une idée, 70 dB, c’est le bruit de l’aspirateur, et 90 dB, celui du train quand on est sur le quai de la gare ; pour dire que quand on parle de baisse d’audition chez le chien âgé… ce n’est pas de la rigolade !). Et donc, cette étude a montré que la vitalité et la proximité du chien avec ses propriétaires diminuaient significativement avec la baisse d’audition, et qu’en utilisant un indice mesurant l’atteinte cognitive, les plus hauts scores se retrouvaient chez les chiens qui entendaient le plus mal.
Réveil en sursaut chez un vieux toutou qui n’entend plus grand chose, et vient de réaliser qu’il n’était pas tout seul dans la pièce. Les études ont montré que même lorsque les chiens souffrant de presbyacousie répondent bien aux ordres visuels, et compensent donc dans une certaine mesure leur perte d’audition, cela n’empêche pas leurs maîtres de juger leur qualité de vie diminuée.
En conclusion, les capacités cognitives des chiens âgés, la qualité des interactions avec leurs maîtres et plus globalement, leur qualité de vie telle qu’évaluée par leurs propriétaires, diminuent donc en même temps que leur audition.
L‘esprit vieillit aussi
Le syndrome confusionnel du chien âgé (ou Cognitive Dysfunction Syndrome (CDS) chez les Anglo-saxons), est une affection fréquente chez le vieux chien, associée, entre autres, à la production dans le cerveau de radicaux libres à l’origine de lésions oxydatives, et à l’accumulation, toujours dans le cerveau, d’une protéine ß-amyloïde présentant une toxicité pour les neurones. Il en résulte des lésions neurodégénératives d’évolution progressive dans le cortex cérébral et l’hippocampe des chiens, responsables d’une baisse de leurs facultés cognitives, celle-ci se traduisant par des changements comportementaux.
Ce syndrome est assez semblable à notre Alzheimer, au point que le chien semble devoir détrôner rongeurs et primates non humains comme modèle d’étude de cette maladie – l’étude du comportement des chiens de compagnie semblant même plus intéressante que celle des chiens de laboratoire, dans la mesure où les chiens de maison partagent l’environnement et le style de vie des humains, et sont exposés aux mêmes polluants et autres facteurs de risque.
Petite précision : tous les chiens ne développeront pas un syndrome confusionnel, et ceux qui le feront ne présenteront pas forcément l’ensemble des symptômes que nous allons décrire ci-dessous, pas plus que toutes les personnes âgées ne présenteront un Alzheimer qui leur fera complètement perdre la tête : le plus souvent, seuls un ou deux symptômes (diminution des interactions sociales, pertes de mémoire…) apparaîtront de façon progressive, ce qui marque la différence entre un vieillissement « normal » (ou presque), et pathologique.
Quelles sont donc les manifestations du syndrome confusionnel ? Il y en a beaucoup, on ne les citera pas forcément toutes.
1 – Désorientation : l’une des manifestations de désorientation les plus typiques (et les plus gênantes pour l’entourage), est un chien qui somnole une partie de la journée, mais ensuite, qui ne dort pas la nuit : il la passe à déambuler, gémir, voire aboyer ou hurler. Bon, ça, c’est quand même dans un syndrome confusionnel assez avancé. Autres manifestations de désorientation : le vieux Médor demande à sortir, reste planté là quelques secondes, puis fait demi-tour et demande à rentrer ; on le trouve parfois immobile au milieu du jardin ou au milieu d’une pièce, les yeux dans le vague ; il se trompe dans le sens d’ouverture des portes, ou bien reste planté devant un mur ou un meuble, sans avoir l’idée de contourner ce dernier ; il se perd sur un trajet qui lui était familier…
Photo ci-contre : Ran Tan Plan, 15 ans, en plein syndrome confusionnel : arrivé devant ce mur, il reste planté là, les yeux dans le vague, entre frigo et poubelle. Si on n’était pas venu le décoincer, il ne se serait probablement jamais dégagé tout seul.
2 – Perte des apprentissages : Médor oublie tout ce qu’il avait appris : il ne répond plus à son nom ni aux ordres qu’il connaissait bien, (Assis, Au pied…), et en tout cas, il est incapable d’apprendre quoi que ce soit de nouveau. Il passe outre des interdits qu’il respectait jusque là (par exemple, aller dans les chambres, voler sur la table)… sans montrer le moindre signe de culpabilité ! Parmi les apprentissages oubliés : la propreté ; il se remet à faire tous ses besoins dans la maison, ce qu’il ne faisait plus depuis l’âge de trois mois – et c’est bien embêtant pour l’entourage !
3 – Dégradation des relations : Au lieu de faire la fête à ses propriétaires, d’apporter sa balle et de demander des caresses comme il l’a toujours fait, Médor devient maintenant plus distant : il se replie sur lui-même, reste dans son coin, s’isole du reste de la famille… Si on va le chercher, on sent bien qu’on le dérange. Dans certains cas, il peut même devenir irritable, et grogner quand on le « dérange » dans son panier, qu’on le brosse ou qu’on le manipule, toutes choses qu’il acceptait bien avant.
4 – Anxiété : Charlie se met à avoir peur de personnes, de choses ou de bruits qui le laissaient autrefois indifférent. Il a peur de rester seul ; en fait, il développe un hyperattachement à un ou plusieurs membres de son entourage, pour contrer son anxiété. Du coup, contrairement au Médor du paragraphe précédent, il devient collant, suit ses propriétaires partout… on ne peut plus s’en dépêtrer ! Lorsqu’on le laisse un quart d’heure pour aller faire une course, il hurle à la mort, aboie, détruit ou salit la maison. Le chien peut réagir à cette anxiété en se livrant à des activités de substitution, comme le léchage répété d’un poignet, au point de créer une lésion.
Désorientation, isolement, anxiété… tout ceci finit souvent par évoluer vers un état dépressif, appelé dépression d’involution.
Alors attention : Les symptômes ci-dessus peuvent être dus uniquement au vieillissement du cerveau dont on a parlé plus haut : radicaux libres, protéine ß-amyloïde, etc. Mais d’autres facteurs, d’environnement, comportementaux ou organiques, peuvent déclencher ou accélérer la survenue d’un syndrome confusionnel, et il est intéressant de savoir les reconnaître s’ils sont présents : pour les corriger si l’on peut, ou au moins pour savoir à quoi s’en tenir.
On citera d’une part des changements de mode de vie :
– Une brusque rupture d’activité chez un chien vieillissant : on a tous entendu quelqu’un nous raconter l’histoire de son collègue, de son voisin ou de son beau-frère, qui travaillait beaucoup, toujours en mouvement, et qui s’est retrouvé en dépression – ou pire – six mois après avoir pris sa retraite. Eh bien ça peut être pareil pour un chien de chasse ou de travail récemment mis à la retraite, ou simplement pour un chien très actif avec qui, pour une raison ou pour une autre, on va cesser de se promener ou de s’amuser.
– Un changement brutal dans l’environnement, par exemple un déménagement. L’arrivée d’un chiot peut être à double tranchant : certains vieux chiens s’en trouvent stimulés, reprennent goût au jeu et retrouvent une deuxième jeunesse. D’autres sont perturbés dans leurs habitudes, et cela peut précipiter l’apparition ou l’aggravation d’un syndrome confusionnel ou d’une dépression d’involution.
Et puis des troubles organiques :
– Une douleur chronique, (arthrose, otite chronique, douleur dentaire), source de repli sur soi… ou d’irritabilité,
– La surdité, dont nous avons parlé,
– Un dérèglement hormonal (hypothyroïdie, hypercorticisme…),
– Et bien sûr, une tumeur cérébrale.
Soulager le corps
Qualité de vie, qualité de vie, qualité de vie : avant tout, on soulage notre vieux compagnon, et on lui facilite l’existence.
Donc d’abord, des mesures de bon sens : on installe le lieu de couchage au rez-de-chaussée, et au ras du sol : selon le degré de mobilité de Médor, on préférera un coussin ou une couverture posés sur le sol, à un panier, dans lequel il aura peut-être du mal à monter ou à se retourner. S’il est souvent couché et qu’il y a des risques d’escarres, il faudra opter pour un GROS coussin, et ne pas hésiter à en mettre en différents endroits de la maison. Adapter les promenades à ses possibilités, et si, pour entrer dans la maison, il y a quelques marches qu’il a du mal à monter, essayer de mettre en place un plan incliné. Adapter les repas à sa dentition – encore qu’un chien sans dent puisse manger des croquettes sans problème, voir à ce sujet l’article de ce site sur la maladie parodontale – et surélever son assiette si nécessaire. S’il urine dans la maison, que ce soit pour une raison organique (insuffisance rénale chronique…), ou par désorientation, le sortir souvent, et le plus tard possible pour la dernière sortie du soir. Toujours concernant les urines, disposer des alèses dans tous ses lieux de couchage : à la fois pour lui éviter de passer la nuit au contact d’un coussin souillé… mais aussi pour limiter l’exaspération qui finit, qu’on le veuille ou non, par gagner l’entourage, à force de trouver régulièrement le sol et les couvertures inondés. Si Médor n’arrive plus du tout à se retenir, on peut aussi utiliser des couches. Enfin, penser à inspecter régulièrement sa peau dans les zones les plus fréquemment souillées : sous le ventre pour les mâles, dans les plis autour de la vulve pour les femelles. Et si on doit laver ces zones, penser surtout à bien les sécher.
Inciter le vieux chien à se remuer est évidemment une bonne chose, à la fois pour éviter une fonte musculaire, stimuler la cognition, recréer du lien… Attention tout de même à ne pas en faire trop d’un coup et on a vu que l’arrivée d’un chiot, par exemple, peut stimuler certains vieux chiens, mais en inciter d’autres à s’isoler encore davantage.
Alors, tout ça, c’étaient les mesures que l’on peut prendre à la maison pour soulager Médor, et lui faciliter la vie. Après, il y a aussi une partie médicale, dans la prise en charge de notre vieux chien.
Comme toujours, avant de traiter, il est bien de savoir… ce que l’on va traiter, et donc de commencer par un travail de diagnostic. Le but étant de déterminer si notre vieux Médor a du mal à se lever, fatigue vite et urine un peu partout juste parce qu’il est vieux et qu’il perd un peu la tête, ou bien si tout cela ne viendrait pas (entre autres !) d’une arthrose sévère ou de la rupture d’un ligament croisé (pour les difficultés au relever), d’un problème cardiaque, d’une leishmaniose ou de tumeurs (pour la fatigue), et d’un diabète ou d’une insuffisance rénale (pour les urines partout dans la maison). La démarche diagnostique commencera donc, comme toujours, par le recueil de l’historique et un examen clinique, et se poursuivra, en fonction des informations obtenues, par des examens complémentaires : généralement au moins un bilan hémato-biochimique (photo ci-contre) puis, selon les hypothèses envisagées, des dosages hormonaux, de l’imagerie (radiographies, échographie)…
La source du syndrome confusionnel se situant dans le cerveau, une IRM cérébrale serait évidemment très intéressante, pour voir si les symptômes ne sont pas dus à une tumeur, une hémorragie cérébrale, un AVC… La décision de faire anesthésier son vieux chien en syndrome confusionnel, pour réaliser une IRM qui détectera peut-être une tumeur au milieu du cerveau, (l’opèrera-t’on ?), devra faire l’objet d’une discussion à propos du rapport bénéfices/risques, ou avantages/inconvénients, de l’examen.
D’un point de vue traitement, les examens ci-dessus nous permettront parfois de diagnostiquer chez notre vieux chien fatigué une maladie sans rapport direct avec le vieillissement, ou ne faisant qu’aggraver celui-ci : par exemple, une leishmaniose (maladie qui donne au chien atteint une allure de « vieux chien »), ou une maladie cardiaque, ou un dérèglement hormonal, etc. Dans ce cas, le traitement visera évidemment la maladie identifiée. S’il s’avère que le chien est « simplement » vieux, alors le traitement visera à le soulager et améliorer sa qualité de vie. Par exemple, les douleurs seront traitées par des anti-inflammatoires (entre autres, et s’il n’y a pas de contre-indication du côté du bilan sanguin), ou par des anticorps monoclonaux (sous forme d’une injection mensuelle, qui permet de soulager les douleurs d’arthrose chez un fort pourcentage de chiens). Une alimentation spécifique pourra aussi être prescrite.
Soutenir l’esprit
Le traitement du syndrome confusionnel est une nécessité, pour plusieurs raisons. D’abord, pour la qualité de vie du chien, gravement atteinte, comme on peut s’en douter, à la lecture des symptômes comportementaux détaillés un peu plus haut. Ensuite, pour maintenir la relation entre le chien et son propriétaire. Enfin, parce que le syndrome confusionnel est source de nuisances pour l’entourage : déambulations et gémissements ou aboiements nocturnes, malpropreté urinaire et/ou fécale, parfois agressivité, etc, tout ceci pouvant conduire à une demande d’euthanasie.
Le traitement comporte deux volets : un traitement médical, et un traitement (ou une thérapie) comportemental(e).
Concernant le traitement médical : on en a déjà parlé, les facteurs favorisants doivent être détectés, et si possible corrigés : anti-inflammatoires ou anticorps monoclonaux (entre autres) pour les douleurs arthrosiques, extraction des dents douloureuses, correction des déséquilibres hormonaux, etc.
Le traitement du syndrome confusionnel lui-même (ou de la dépression d’involution si l’on est arrivé à ce stade), peut faire appel à plusieurs molécules, mais on utilise notamment la sélégiline, qui augmente la concentration synaptique de la dopamine (qui intervient dans l’apprentissage), de la noradrénaline (dans la vigilance) et de la sérotonine (aux effets anti-dépresseur et anxiolytique). La sélégiline a, en outre, un effet neuroprotecteur vis-à-vis des radicaux libres et des neurotoxiques. Souvent associée à la sélégiline, la propentofylline favorise l’apport d’oxygène dans les tissus par son action sur la circulation, notamment cérébrale. Elle a également une action neuroprotectrice. Ces deux molécules sont parmi les plus classiquement utilisées, mais il en existe d’autres, notamment des vasodilatateurs cérébraux, et certains compléments alimentaires souvent efficaces dans les formes anxieuses ; le choix du traitement se fera évidemment au cas par cas, en fonction des résultats de l’examen clinique et des examens de laboratoire.
L’alimentation peut jouer un rôle : plusieurs aliments à destination des chiens âgés, voire conçus spécifiquement pour la prévention des troubles confusionnels, présentent des teneurs élevées en anti-oxydants et en acides gras oméga-3, qui peuvent aider à protéger les cellules du cerveau contre les dommages des radicaux libres. Il existe aussi toutes sortes de compléments alimentaires qui peuvent donner de bons résultats chez certains chiens, mais dont l’efficacité est rarement démontrée.
D’un point de vue comportemental, la première chose à faire est de briser le cercle vicieux qui fait que le vieux Médor s’isole, ne répond plus aux sollicitations, et devient donc « moins intéressant ». (Et pour peu qu’en plus, il devienne malpropre…). On aura donc tendance, consciemment ou non, à moins s’en occuper, voire à ne pas vouloir le déranger puisqu’il semble avoir envie qu’on le laisse tranquille dans son panier, du coup, il s’isolera encore davantage, on s’en occupera encore moins, etc. Il sera donc urgent de remettre Médor au centre du groupe, par exemple en organisant quelques séances de jeu ou de papouillages bien ritualisées, (deux ou trois séances de cinq minutes par jour – ou davantage !), au cours desquelles le chien redeviendra le roi de la famille. On peut aussi le forcer à sortir et à faire un minimum d’exercice, dans la limite bien sûr de ses possibilités physiques.
Pffff, qu’est-ce qu’il a, celui-là, à venir m’embêter, alors que j’étais bien tranquille dans mon panier avec mon chat ? Ben oui, mais si on passe toutes ses journée sans bouger et sans autre stimulation qu’un chat qui dort à côté… les choses ne vont sûrement pas s’arranger !
Côté cognition, organiser des jeux simples, auxquels le chien est sûr de gagner : le principe est le même que pour une personne âgée, qui fait des mots croisés ou apprend des poèmes par cœur pour entretenir sa mémoire. On pourra, par exemple, présenter au chien trois gobelets en plastique retournés, et lui faire deviner sous lequel est dissimulée une friandise. Ou encore lui faire rechercher de la nourriture, cachée quelque part dans la maison, tout en le stimulant activement ; (cherche ! cherche !). Ce sont quelques exemples, mais on peut évidemment broder à l’infini à partir de là !
Et en prévention ?
D’abord, les choses faciles que tout le monde peut faire à la maison : ne pas laisser le vieux chien s’isoler et arrêter toute activité physique, mais le stimuler, physiquement et intellectuellement. Evidemment, on ne va pas lui faire courir un semi-marathon à quatorze ans, mais on peut l’emmener se promener ne serait-ce que cinq minutes par jour sur terrain plat, ou lui lancer et lui faire rapporter sa balle avec une récompense à la clef, même s’il vous regarde du fond de son panier avec des yeux de merlan frit, en vous signifiant clairement qu’il n’a vraiment, mais alors vraiment pas envie de bouger d’un pouce.
L’alimentation pourra aussi être adaptée en fonction de l’âge et des caractéristiques de la race du chien. (Passage à un aliment « senior », supplémentation éventuelle…).
Toutes les anomalies, physiques et comportementales, notamment celles affectant la qualité de vie, pourront être signalées lors des visites de santé, par exemple à l’occasion de la consultation vaccinale annuelle. Il est aussi possible de faire réaliser un bilan de santé annuel, à partir de six ans (pour les races géantes), ou neuf ans (pour les petites races) : celui-ci consistera essentiellement, outre l’examen clinique, en un bilan urinaire et sanguin (numération-formule sanguine, et bilan biochimique classique)… et plus si les commémoratifs ou l’examen clinique orientent vers une direction particulière. Si ce bilan permet de dépister une maladie encore sous-jacente ou débutante, il sera alors possible de mettre en place un traitement, ou au moins de prendre des mesures pour stopper ou ralentir l’évolution de l’affection.