Le Marchand de mort aux rats. Paul Gavarni, dans : Victor Fournel, Le vieux Paris, fêtes, jeux et spectacles, 1887

« Elle met de la mort-aux-rats dans le café de son mari », titre Ouest-France. « Il avait mis de la mort-aux-rats dans l’assiette de sa femme », lui répond Le Parisien. Ce genre de nouvelle, en forme de titre de roman d’Agatha Christie ou de film d’Alfred Hitchcock, peut paraître anecdotique, surtout si ça se passe loin, que la victime s’en sort… et qu’on n’est pas directement concerné ! En revanche, quand on voit arriver en 48 heures cinq chiens du même village empoisonnés à la mort-aux-rats, comme ce fut le cas chez nous il y a quelques années, ou qu’on apprend qu’une dizaine de chats ont été retrouvés morts intoxiqués dans un quartier voisin, même si l’on ne peut certes pas comparer ces événements à un décès humain, on n’en touche pas moins du doigt ce qu’est un empoisonnement par la mort-aux-rats « dans la vraie vie ».

Une occasion, donc, de faire le point sur cette intoxication, parfois intentionnelle (pure malveillance), le plus souvent accidentelle (le chien ou le chat mangent l’appât destiné aux rongeurs), mais toujours très dangereuse pour nos animaux domestiques.

Petite précision avant de commencer : on ne parlera ici que des raticides (ou rodenticides) anticoagulants, qui constituent la grande majorité des mort-aux-rats que l’on peut trouver aujourd’hui en grandes surfaces, droguerie ou jardinerie. On ne parlera donc pas des produits plus rares, voire interdits, comme (entre autres) l’arsenic, les convulsivants (strychnine, crimidine…), ou les cardiotoxiques (scilliroside).

Un trouble de la coagulation

Les mort-aux-rats à base d’antivitamine K empêchent le sang de coaguler, et provoquent donc des hémorragies (externes ou internes), chez l’animal qui en a ingéré : souris, rat… mais aussi chien ou chat. Les symptômes apparaissent le plus souvent 2 ou 3 jours après l’ingestion.

Un trouble de la coagulation

Les mort-aux-rats à base d’antivitamine K empêchent le sang de coaguler, et provoquent donc des hémorragies (externes ou internes), chez l’animal qui en a ingéré : souris, rat… mais aussi chien ou chat. Les symptômes apparaissent le plus souvent 2 ou 3 jours après l’ingestion.

Des saignements externes… et internes

On sera tout de suite alerté par des saignements externes : saignements de nez ou des gencives, présence de sang dans les urines, les selles ou les vomissements, petite plaie qui saigne de façon disproportionnée. Mais des hématomes cachés sous les poils, des saignements internes, dans le thorax ou l’abdomen, passeront facilement inaperçus en début d’évolution.

Des saignements externes… et internes

On sera tout de suite alerté par des saignements externes : saignements de nez ou des gencives, présence de sang dans les urines, les selles ou les vomissements, petite plaie qui saigne de façon disproportionnée. Mais des hématomes cachés sous les poils, des saignements internes, dans le thorax ou l’abdomen, passeront facilement inaperçus en début d’évolution.

Un traitement long
L’antidote de la mort-aux-rats est la vitamine K1, administrée pendant plusieurs semaines. Une transfusion est parfois nécessaire. Si l’on dispose de l’emballage du produit, il est très important de le montrer au vétérinaire, car la durée du traitement dépend de sa composition. Non traité, l’empoisonnement par la mort-aux-rats est généralement mortel.
Un traitement long

L’antidote de la mort-aux-rats est la vitamine K1, administrée pendant plusieurs semaines. Une transfusion est parfois nécessaire. Si l’on dispose de l’emballage du produit, il est très important de le montrer au vétérinaire, car la durée du traitement dépend de sa composition. Non traité, l’empoisonnement par la mort-aux-rats est généralement mortel.

La coagulation, comment ça marche ?

Pourquoi parler de coagulation, me demanderez-vous ? Eh bien parce que la mort aux rats empêche l’animal de coaguler, c’est même comme ça qu’elle tue. Pour bien comprendre ce qui se passe, il va falloir être un peu technique. Il est naturellement permis de zapper, surtout si vous pensez que votre chien, assis devant vous, est peut-être empoisonné : à ce moment-là, allez directement à la conduite à tenir, à la fin de cet article… ou mieux, arrêtez de lire, et appelez tout de suite votre vétérinaire ! Mais si vous n’êtes pas dans une situation d’urgence, que votre chien va bien et que vous lisez cet article seulement pour info, vous comprendrez mieux le pourquoi du comment des symptômes et du traitement en vous arrêtant quelques minutes sur les lignes suivantes.

Alors, la coagulation, comment ça marche ? Rappelez-vous la dernière fois que vous vous êtes coupé accidentellement, ça a commencé par saigner, puis le saignement s’est arrêté, en même temps que se formait une croûte. (Pour faire un peu plus scientifique, on parlera de caillot ou de thrombus). Ce caillot se forme en fait en deux temps. Premier temps, de petites cellules sanguines (les plaquettes, ou thrombocytes), viennent s’agglutiner sur la brèche du vaisseau sanguin, et la colmatent en formant un premier caillot : le clou plaquettaire. On nomme cette première étape l’hémostase primaire.

Photo ci-dessus : deux gros amas de plaquettes (flèches), entre un globule blanc (un polynucléaire neutrophile, PNN) et quelques globules rouges (GR), sur le frottis sanguin d’un chat.

Problème : le clou plaquettaire est fragile, et va se disloquer rapidement s’il n’est pas consolidé. C’est là qu’intervient l’hémostase secondaire, ou coagulation au sens strict. Des substances qui circulent dans le sang (les facteurs contact), vont être activées par le contact (d’où leur nom), avec l’extérieur des vaisseaux sanguins. (Normalement, ces substances qui circulent dans le sang, n’ont aucune raison de se trouver en contact avec l’extérieur des vaisseaux). Une fois activés, les facteurs contact vont activer à leur tour, de proche en  proche, toute une série d’autres substances sous la forme d’une cascade, ou plutôt de deux cascades : la voie externe, ou voie rapide, et la voie interne, ou voie lente. Tout en bas de ces deux cascades d’activation, la dernière substance activée est le fibrinogène (substance soluble), qui se transforme en fibrine (substance insoluble), dont les fibres insolubles vont aller s’entortiller autour du fragile clou plaquettaire, le transformant ainsi en un caillot solide. (Ci-dessous, un schéma pas trop compliqué de cette cascade de la coagulation). Le processus est alors terminé. Notre corps détruira ce caillot quelques jours plus tard, une fois le vaisseau sanguin cicatrisé : c’est la fibrinolyse, mais cette partie-là ne nous intéresse pas aujourd’hui.

Et la mort-aux-rats, comment ça marche ? 

Pourquoi je vous raconte tout ça ? parce que parmi tous les facteurs de coagulation qui interviennent dans la cascade, il y en a quatre (les n° II, VII, IX et X), dont la synthèse (par le foie) dépend d’une vitamine, la vitamine K1. Si la vitamine K1 n’est pas là, le foie ne peut plus fabriquer ces quatre facteurs, et il fabrique à la place ce qu’on appelle des PIVKA (protein induced by vitamin K absence), qui ressemblent aux facteurs II, VII, IX et X, mais qui ne sont pas les facteurs II, VII, IX et X, et donc qui ne fonctionnent pas, ce qui est tout de même gênant. Or justement, les mort-aux-rats actuelles sont à peu près toutes constituées de coumariniques, qui sont des antivitamines K. Sans vitamine K, plus de facteurs de coagulation II, VII, IX et X, plus de formation de fibrine, plus de caillot solide… le rat qui se blesse saignera donc jusqu’à ce que mort s’ensuive. À titre de comparaison, une personne hémophile manque de facteur VIII (hémophilie A) ou IX (hémophilie B), le long de cette même cascade de coagulation. En interrompant la cascade, et quoique par des mécanismes bien différents, la mort aux rats entraînera un peu les mêmes effets qu’une hémophilie.

Vous me direz… Pourquoi aller s’embêter à fabriquer des produits aussi élaborés, avec des PIVKA et tout, alors qu’il suffirait d’une bonne vieille tapette ? Pour la bonne raison que les rats sont des animaux extrêmement intelligents et organisés. Si l’un d’entre eux se fait avoir par la tapette, nul doute qu’aucun autre membre du groupe ne s’y fera plus avoir par la suite, et de toute façon, ils arriveront souvent à décrocher le morceau de fromage sans se faire attraper.

Même chose avec les poisons plus « traditionnels », comme la strychnine : si un membre du groupe goûte l’appétissant appât, et que quelques instants plus tard, il est pris de convulsions et meurt au bout d’une demi-heure… plus aucun rat ne voudra de cet appât, et on peut les comprendre.

Avec les antivitamine K, en revanche, aucun risque que le rongeur comprenne ce qui lui arrive. Il faudra le temps que le produit soit absorbé, que le stock de facteurs de coagulation présent dans l’organisme s’épuise, et soit progressivement remplacé par des PIVKA inactifs… et il ne restera plus alors qu’à attendre une blessure pour que l’animal se mette à saigner… ce qui prend forcément quelques jours. Aucune chance, donc, que le rat fasse le lien avec les savoureux grains de blé, obligeamment déposés dans son lieu de vie, une semaine plus tôt.

Mon chien en a mangé !!!

Mon chien… ou mon chat, bien sûr. Parce que les chats ont beau être des animaux circonspects, ils en mangent malgré tout ! Certes, beaucoup moins souvent que les chiens, d’après les chiffres des centres anti-poisons vétérinaires… mais quand même.

Bon, premier cas de figure, on a vu son animal manger de la mort-aux-rats : dans ce cas, logiquement, on filera tout droit chez son vétérinaire favori sans laisser au poison le temps d’agir. Ce qui se passera ensuite est détaillé un peu plus loin, mais normalement, on n’aura pas l’occasion d’observer des symptômes.

Deuxième cas de figure, Snoopy a fait son petit tour dans le quartier, il a trouvé sur le trottoir un superbe sandwich rempli de plein de petits granules bleus, il s’en est bien régalé, et maintenant, il rentre à la maison tout content, en se léchant les babines. Là, évidemment, on ne se doute de rien, et on tombera des nues quelques jours plus tard quand le toutou présentera les premiers symptômes. Et voilà ce qu’on va observer.

     Signes cliniques

D’abord, évidemment, des saignements en tous genres (photos ci-dessous) : saignements spontanés, par le nez (épistaxis), le long des dents si le chien ou le chat a des problèmes de gencive, dans les urines, les vomissements ou les selles… une petite plaie que l’on croyait guérie se remet à saigner, et on a beau essayer de la comprimer sous un pansement, on retrouve ce dernier imbibé de sang une demi-heure plus tard. (Une plaie minuscule qui n’arrête pas de saigner doit absolument attirer l’attention !). Y penser aussi devant de gros hématomes (taches violacées sous la peau, cuisse qui double de volume – photo en fin d’article…), sans que l’animal ait subi un choc particulier.

Donc ça saigne, il y en a partout, mais l’animal est encore en forme. (Un saignement de nez, par exemple, peut être très impressionnant, sans que la perte de sang, en volume, soit très importante). Mais ça ne va pas durer si les globules rouges et le volume sanguin chutent trop, et surtout trop vite : le chien ou le chat montrera alors d’importants signes de fatigue, et si on lui regarde les muqueuses (par exemple dans la bouche), on les trouvera bien pâles, voire toutes blanches.

Saignement important et prolongé sur le menton d’une jeune chatte, empoisonnée par la mort-aux-rats (photo de gauche) : la minette a perdu beaucoup de sang (elle saignait également dans le poumon), et celui qui imbibe le menton est d’ailleurs plus rose clair que rouge ! Photo de droite : après transfusion et injection de vitamine K1, le saignement s’est arrêté et l’on peut constater la disproportion entre la minuscule coupure, et l’importance et la durée du saignement.

Photo de gauche : ça saigne toujours à l’extérieur, avec cette spectaculaire épistaxis (= saignement de nez), chez ce doberman que l’on retrouvera plus loin dans l’article. La photo est de mauvaise qualité car très ancienne… mais l’épistaxis est spectaculaire ! A droite : ici, plus de sang qui éclabousse, mais des hématomes sous le ventre et en face interne de la cuisse chez un caniche.

Encore des hématomes, cette fois sous la conjonctive oculaire d’un chat (photo de gauche), et dans le corps clignotant (= troisième paupière) d’un chien (photo de droite), tous deux empoisonnés par la mort-aux-rats.

Dans tous les cas ci-dessus, le saignement se produit à l’extérieur du corps, ce qui facilite les choses d’un point de vue diagnostique. Il faudra encore faire la différence entre les différentes affections qui peuvent provoquer des saignements, mais les possibilités sont déjà bien réduites. Le problème est différent quand le chien (ou le chat) saigne à l’intérieur ! parce que là, il est facile de passer à côté. Mais c’est le but recherché, n’est-ce pas ? la mort aux rats a été conçue pour tuer sournoisement…

L’animal peut donc saigner dans le poumon, ou le thorax en général, et sera alors présenté pour une petite toux, ou un essoufflement. Si l’on n’a pas la « chance » que le chien crache du sang, ou que la toux soit suffisamment importante pour justifier des radios, il est très peu probable que qui que ce soit pense à la mort aux rats devant un chien qui toussotte (au moins en début d’évolution). Le saignement peut aussi se produire dans l’abdomen, à l’occasion de la moindre petite fissure dans le foie ou dans la rate. Là aussi, en début d’évolution et en l’absence de symptômes évocateurs qui conduisent à réaliser une échographie, difficile de comprendre d’emblée ce qui se passe. Et que dire d’un chien qui boitille depuis la veille ? Il sera plus facile de penser qu’il s’est fait mal en courant, que de soupçonner un saignement intra-articulaire ! Sournois, on vous dit…

Photo de gauche : radiographie thoracique chez une chienne empoisonnée par la mort-aux-rats : les lobes pulmonaires crâniaux (à gauche de la radio), sont totalement obscurcis (obscurci = clair, sur une radio !) : ils devraient être gris foncé, comme sur la partie droite. La flèche indique un bronchogramme, c’est à dire l’image d’une bronche qui apparaît en négatif au milieu des alvéoles pulmonaires remplies de sang. Photo de droite : importante quantité de sang (dans lequel baigne la rate), dans l’abdomen d’un autre chien, également intoxiqué par la mort-aux-rats. Le chien a présenté un abattement d’apparition brutale, avec hypothermie et tachycardie, lorsque l’hémorragie interne s’est déclenchée.

Moins fréquent, mais ça se voit : des saignements à l’intérieur de la boîte crânienne, qui vont comprimer le cerveau et provoquer des troubles neurologiques, ou encore des saignements à l’intérieur du péricarde, qui vont comprimer le cœur et empêcher les oreillettes (d’abord) et les ventricules (ensuite) de se dilater.

Ces photos anciennes montrent des troubles neurologiques chez une chatte empoisonnée par la mort aux rats : tête penchée (à gauche), et pertes d’équilibre. On notera en outre un saignements de bouche (sang sur l’alèse), et du sang dans les urines (dans le récipient, sur la photo de gauche). La chatte est ici sous perfusion, et a déjà reçu sa vitamine K1.

La suspicion clinique, parfois très forte quand l’animal saigne de partout, pourra être, on l’a vu, beaucoup moins évidente en cas de simples hématomes, ou si le chien ou le chat saigne à l’intérieur. Devant un animal « pas bien », il faudra systématiquement penser à la mort-aux-rats si l’on en a mis dans la maison, (« oh, il y a bien du produit dans le garage, mais il est bien caché sous l’établi, le chien n’a pas pu y accéder ! »), ou s’il y a une campagne de dératisation en cours dans le quartier. Ne surtout pas se fier aux mort-aux-rats soit-disant répulsives pour les chiens ! ça ne marche pas, les chiens adorent… Il nous est arrivé de voir un chien vomir un bon kilo de blé empoisonné ! qui aurait pu croire qu’un chien mangerait du blé ? Autre source d’empoisonnement, après l’intoxication domestique : la malveillance. Donc là aussi, pensez à signaler à votre vétérinaire s’il y a eu des menaces de la part d’un voisin, si plusieurs chats sont morts ou ont disparu récemment dans le quartier, etc.

En revanche, contrairement à une idée reçue, l’ingestion d’un rongeur empoisonné ne provoque quasiment jamais d’intoxication chez nos carnivores domestiques, probablement parce que la quantité d’anticoagulant à l’intérieur du rat ou de la souris est trop faible. (Photo ci-contre : Eh oui, le chat a été trop rapide, on est arrivés trop tard pour sauver la souris. Mais visiblement, mort-aux-rats ou pas, la bestiole était bonne !)

Et puis on sort un peu du domaine de la mort-aux-rats au sens strict, mais un certain nombre de médicaments prescrits en prévention ou en traitement des accidents thombo-emboliques chez l’humain contiennent des coumariniques, comme la mort-aux-rats ! Alors si un tube est resté ouvert, et que le chien de la maison en a avalé le contenu…

Donc, voilà où on en est : notre chien s’est mis à saigner d’une petite plaie insignifiante à la babine, et ça ne s’arrête pas. Ou bien il toussait d’une manière un peu suspecte, on lui a fait une radio ou une échographie du thorax, et on a vu qu’il y avait plein de liquide à l’intérieur. En plus, Papi a mis de la mort-aux-rats dans le garage, ou bien il y a eu plein de chats empoisonnés dans le quartier ces derniers temps… Donc, on est presque sûr qu’il s’agit d’un empoisonnement par la mort-aux-rats ; à la limite, on peut déjà commencer le traitement, surtout si l’animal est vraiment mal en point, mais bon, c’est quand même bien de confirmer le diagnostic, ne serait-ce que parce qu’il y a d’autres maladies qui font saigner, et que ce serait ballot de traiter un chien qui saigne du nez avec de la vitamine K1, alors qu’en fait, il a la leishmaniose ! (Un exemple parmi tant d’autres). Donc, même si la suspicion est forte, et qu’on a déjà commencé le traitement pour ne pas prendre de risque, on va faire quelques examens en parallèle, pour confirmer… ou pas !

     Signes biologiques

Petit préambule : si on voit arriver un chien qui saigne de partout et que son propriétaire brandit la boîte de mort-aux-rats éventrée qu’il a trouvée dans le garage, on ne va peut-être pas passer une heure à faire des examens complémentaires pour savoir si Snoopy coagule ou pas. Le paragraphe qui suit concerne donc les cas où ce n’est pas bien net : le chien qui toussotte et qui est peut-être un peu pâle, le chat qui a des urines colorées et qui est quand même un peu moins actif que d’habitude…

Donc, pour reprendre l’exemple précédent, on a un chien qui se présente avec un saignement de nez. Les origines possibles sont multiples : trouble de la coagulation, trouble de l’hémostase (on a vu plus haut le rôle des plaquettes), leishmaniose, ehrlichiose, tumeur, parasitose, infection dentaire… Par quoi commencer, pour confirmer (ou pas) notre suspicion de trouble de la coagulation ?

Un examen simple, quoique pas toujours très sensible ni spécifique, est la mesure du temps de saignement à l’oreille : on fait une petite incision dans le pavillon de l’oreille, (qui peut servir à la fois pour évaluer la coagulation et pour réaliser un frottis sanguin), et on voit si ça s’arrête de saigner rapidement, ou si ça coule toujours au bout de cinq minutes. Problème : ce test évalue surtout le fonctionnement des plaquettes (hémostase primaire), qui n’est pas modifié lors d’empoisonnement par la mort aux rats (trouble de la coagulation). Bon, évidemment, quand l’animal ne coagule plus du tout du tout, ça va saigner quand même (voir plus haut les photos de la minette avec sa toute petite plaie au menton). Mais il nous est arrivé de faire un frottis sanguin en consultation, que la petite incision ne saigne pas (formation normale du clou plaquettaire), et que l’oreille du chien se mette à saigner sans s’arrêter une demi-heure plus tard, une fois rentré à la maison (absence de consolidation du clou plaquettaire par la fibrine, à cause de l’empoisonnement). Donc, un examen simple, qui nous renseigne souvent, mais auquel on ne pourra pas toujours se fier.

En attendant de voir si la petite incision dans l’oreille saigne longtemps ou pas, on va regarder le frottis sanguin qu’on a fait au moment de l’incision. On va d’abord vérifier si l’on voit ou non des plaquettes : une numération avec un analyseur pourra nous donner un chiffre, mais en première intention, quand un animal saigne à cause d’un nombre insuffisant de plaquettes (thrombopénie), c’est qu’il y en a vraiment très peu, et on n’en voit alors aucune ou presque sur le frottis sanguin. Donc, sauf cas très particuliers, quand on voit des plaquettes sur un frottis, on peut déjà exclure un trouble de l’hémostase comme origine du saignement. On va ensuite regarder les globules rouges : s’il y en a de toutes les tailles et de toutes les couleurs, alors qu’ils devraient être tous pareils, c’est  que le chien perd du sang quelque part, et que la moelle osseuse fabrique et largue dans le sang tout plein de globules rouges immatures, en remplacement de ceux qui sont partis. Donc, si on trouve ce genre de frottis chez un chien qui toussotte, ça veut dire qu’il ne s’agit pas d’une simple petite trachéite, mais que ça saigne quelque part à l’intérieur ! Et puis enfin, on pourra aussi profiter de l’examen du frottis pour rechercher d’éventuels parasites sanguins susceptibles de faire saigner (Anaplasma platys, notamment).

La photo de gauche montre le petit caniche dont nous avons déjà vu une photo plus haut, avec des hématomes sous le ventre : on lui a fait un frottis à l’oreille, et ça saigne ça saigne ça saigne ! Au point qu’il a fallu mettre en place cette petite compression pour que le saignement s’arrête. Là, on a confirmation que les hématomes ne sont pas dus, par exemple, à un trauma, mais bien à un trouble de la coagulation. Photo de droite : aspect du frottis sanguin chez un chien qui a perdu des globules rouges : on voit des plaquettes, (flèches noires ; il y en a davantage à d’autres endroits du frottis), donc pas de problème de ce côté-là. En revanche, les globules rouges (GR) sont de taille et de couleurs variées, et il y en a même un avec un noyau (flèche blanche). On peut en déduire que les globules rouges sont soit partis (hémorragie), soit ont été détruits (anémie à médiation immune, par exemple), et que la moelle osseuse largue en catastrophe dans le sang des globules rouges pas tout à fait finis, pour remplacer ceux qui manquent.

Bon, tout ça, c’étaient des signes indirects : importants, certes, mais si on veut un diagnostic de quasi-certitude, il faut mettre en évidence une anomalie dans la cascade de la coagulation dont nous avons parlé plus haut et pour ça, nous allons réaliser des temps de coagulation. Il en existe plusieurs, pour explorer la voie interne, la voie externe ou la voie commune ; en pratique, et sauf si l’on soupçonne un trouble de la coagulation rare et/ou complexe (hémophilie, maladie de Willebrand, coagulation intra-vasculaire disséminée…, affections pour lesquelles il existe d’autres éléments de suspicion), on se limitera à un temps de Quick, qui évalue la voie externe de la cascade. Les cliniques de Villevieille et de Calvisson sont toutes deux équipées d’un appareil mesurant les temps de coagulation (photos ci-dessous). Normalement, le temps de Quick ne dépasse pas une dizaine de secondes. S’il atteint une, voire plusieurs minutes, chez un chien ou un chat qui était en bonne santé et n’avait jamais présenté de trouble de la coagulation jusque là, on peut dire sans grand risque de se tromper qu’il s’agit d’un empoisonnement par un antivitamine K.

Photo de gauche : coagulomètre permettant la réalisation des différents temps de coagulation, en particulier du temps de Quick.

Photo de droite : le coagulomètre affiche un temps de Quick de 470 secondes (valeurs useulles ≤ 8 secondes), chez un chat présentant un saignement anormalement abondant, par une plaie de petite taille : pas de doute, il y a un gros problème de coagulation !

Une dernière précision, pas bien gaie, concernant le diagnostic : une fois le poison absorbé par l’organisme, il n’y a plus qu’un seul moyen de pouvoir affirmer avec certitude qu’il s’agit d’un empoisonnement par la mort-aux-rats, et c’est malheureusement l’autopsie, en cas de décès de l’animal. Pourquoi aller jusque là, me direz-vous ? Les symptômes et les examens de laboratoire que nous venons de voir sont suffisants pour avoir un diagnostic de quasi-certitude, et mettre en œuvre un traitement. En parallèle, la présence du poison, qui constituerait la preuve définitive, n’est pas facile à démontrer : vu que les symptômes apparaissent plusieurs jours après l’ingestion de la mort-aux rats, cela fait belle lurette qu’il n’y en a plus dans l’intestin le jour où l’animal est présenté en consultation. De même, la concentration sanguine de l’antivitamine K diminue rapidement, et ce n’est pas un dosage réalisé en routine, donc une prise de sang ne nous aidera pas non plus. Si l’on veut absolument un diagnostic de certitude, par exemple en vue d’entamer une action judiciaire, il faudra donc réaliser une autopsie et des analyses toxicologiques, afin de mettre en évidence le poison dans un prélèvement de foie, ou éventuellement de rein.

Alors, qu’est-ce qu’on fait ?

D’abord, attention : tout ce qu’on va écrire ci-dessous, c’est à titre indicatif, pour donner une idée de la démarche, mais il s’agit bien évidemment de généralités. La conduite à tenir qui vous sera conseillée par votre vétérinaire, pour votre chien ou votre chat empoisonné – ou suspect d’empoisonnement – sera peut-être différente, et c’est normal : comme toujours en médecine, on est dans le cas par cas, et de nombreux facteurs peuvent intervenir dans les prises de décision.

Ceci étant dit, on va distinguer trois cas de figure :

1 – L’animal vient de manger la mort-aux-rats :

Il l’a fait sous vos yeux, ou bien vous rentrez d’une course d’une demi-heure, et vous trouvez la boîte de mort-aux-rats éventrée, et le chien qui remue la queue à côté  ; en tout cas, c’est sûr, ça fait moins de deux heures, trois maximum, qu’il a avalé le poison (photos ci-dessous). Là, on a une chance que la mort-aux-rats soit encore dans l’estomac. Donc pas d’hésitation, vous téléphonez à votre vétérinaire pour décrire ce qui vient de se passer, et signaler que vous arrivez dès que possible. Dès son arrivée, l’animal recevra une injection pour le faire vomir. Si un beau tas de grains ou de granules colorés se trouve effectivement dans le vomi, le plus gros du danger sera alors écarté. Après, les avis divergent : si on pense que tout le poison est très probablement ressorti, on se contentera de faire une prise de sang deux ou trois jours plus tard, pour s’assurer que le temps de Quick reste normal et si c’est le cas, on en restera là. Si on a un doute et qu’on veut être très prudent… alors on donnera au chien ou au chat le traitement de vitamine K1. On peut aussi prescrire un médicament à base de charbon activé, afin d’accélérer l’élimination du poison qui serait éventuellement passé dans l’intestin.

Voici Izzy, petite Jack Russel de deux mois, qui vient d’émerger de la cave en ramenant fièrement un sachet de mort aux rats (photo de droite) : une injection a fait vomir la chienne (le vomi est sous les sopalins !), évacuant ainsi la mort-aux-rats présente dans l’estomac. Afin de ne prendre aucun risque, l’élimination du poison a été complétée par plus de trois semaines de vitamine K1 en comprimés.

2 – Il a mangé la mort-aux-rats il y a plus de trois heures :

Vous rentrez du travail, et cet imbécile de chien a éventré la boîte de mort-aux-rats, et a tout mangé. ça peut remonter à quatre ou cinq heures, et dans ce cas, le produit n’est plus dans l’estomac. Bon, on va quand même le faire vomir, ça ne mange pas de pain, il y en a dont l’estomac ne se vidange pas bien vite. Mais là, pouf ! rien dans le vomi. Le poison est déjà dans l’intestin, et il n’y a plus rien à faire pour le récupérer.

Pas de panique : comme nous l’avons vu plus haut, le temps que l’anti-vitamine K agisse, que les facteurs de coagulation du chien s’épuisent, qu’une occasion de saigner se présente… cela prend rarement moins de 48 heures, et parfois jusqu’à une semaine. Donc, il n’y a pas péril en la demeure : il faut certes s’activer, mais contrairement à ce qui se passe dans d’autres empoisonnements, (par exemple avec les convulsivants), le chien ou le chat ne va pas mourir dans les heures qui suivent.

Donc, là aussi, on prévient son vétérinaire, qui jugera, en fonction de l’heure estimée de la prise du poison, s’il est encore utile ou non de faire vomir l’animal. Puis, un traitement de vitamine K1 sera mis en place.

On en profite pour caser ici une précision sur la durée du traitement par la vitamine K1. Les premières mort-aux-rats (coumafène…), persistaient dans l’organisme pendant 15 jours. Celles de la génération suivante, plutôt dans les trois semaines. Avec les antivitamines K de dernière génération, on dépasse largement les trois semaines, pour atteindre les cinq, voire six semaines (Tableau ci-contre. Source : M-A Moriceau & Coll, Le Point Vétérinaire 2018, n° 387).

Deux conséquences à cela : d’abord, si vous connaissez le type de mort-aux-rats qu’a ingurgité votre animal, (c’est celui que vous avez mis dans le garage), il est impératif de venir avec l’emballage pour avoir le nom du principe actif : la décision de traiter trois, quatre ou six semaines en dépendra. Si, par contre, le principe actif est inconnu, (on a jeté la boîte, ou il s’agit d’un empoisonnement par malveillance), alors le traitement sera long, et il sera conseillé de réaliser un temps de Quick deux ou trois jours après l’arrêt de la vitamine K1.

2 – Il a mangé la mort-aux-rats il y a plusieurs jours…

… et il arrive en saignant. Là, c’est très embêtant, parce que l’animal ne coagule plus, et qu’il peut faire une hémorragie mortelle à tout moment.

Bon, si le chien ou le chat va bien, qu’il est bien rose, que son taux de globules rouges est dans les normes, et qu’il saignote juste un peu d’une gencive… on peut raisonnablement le traiter avec de la vitamine K1, en le surveillant comme le lait sur le feu. On mesure le temps de Quick toutes les douze heures, et une fois que celui-ci s’est normalisé (là, les avis divergent : certains disent en une heure après la mise sous vitamine K1, d’autres en douze à vingt-quatre heures), le chien est tiré d’affaire : il n’y a plus qu’à poursuivre la vitamine K1 pendant au moins trois semaines, comme indiqué plus haut.

Là où ça se corse, évidemment, c’est si l’animal est vraiment mal en arrivant chez le vétérinaire, très anémié, avec du sang plein le ventre et/ou les poumons. L’idéal est alors de le transfuser, afin de lui apporter immédiatement à la fois les globules rouges et les facteurs de coagulation qui lui manquent. Ces derniers, en particulier le facteur VII, ne restant stables que quelques heures, il est indispensable de transfuser le patient avec du sang frais, (ou du plasma congelé, à condition d’en disposer, et qui n’apporte pas de globules rouges), ce qui implique de disposer de chiens ou chats donneurs de sang… ou que les propriétaires de l’animal empoisonné possèdent un donneur potentiel, ou en connaissent un dans leur entourage. Nous avons la chance, en médecine vétérinaire, que les groupes sanguins du chien et du chat soient différents de ceux de l’Homme, et qu’à de très rares exceptions près, sur une première transfusion, un chien ou un chat puisse recevoir le sang d’un de n’importe lequel de ses congénères – à condition, bien sûr, que celui-ci ne soit pas porteur d’une maladie transmissible par le sang ! Les accidents transfusionnels peuvent se produire à partir de la deuxième transfusion, mais dans le cas d’un empoisonnement par la mort-aux-rats, une fois l’animal stabilisé par la transfusion, et le traitement de vitamine K1 commencé, une deuxième transfusion n’est normalement pas nécessaire… sauf en cas de nouvel empoisonnement six mois plus tard !

Photos anciennes d’un doberman empoisonné par la mort aux rats. Le chien est très abattu. Sa cuisse gauche, déformée par un hématome, est deux ou trois fois plus grosse que la droite ! Dans les minutes qui suivent, pendant que l’on prélève du sang sur un chien donneur, le doberman va se mettre à saigner abondamment par le nez (photo un peu plus haut dans cet article). Après transfusion, les saignements s’arrêteront rapidement, et le chien pourra rentrer chez lui 48 heures plus tard, en forme, et la cuisse gauche quasiment dégonflée (photo de droite).