Petite précision avant de commencer la lecture : il y a dans cet article des vidéos et des photos de chats et de chiens empoisonnés par des convulsivants, qui pourraient vous choquer si vous êtes sensible.
Sachez néanmoins que les vidéos ont été réalisées après la mise sous traitement des animaux, (perfusion + injection d’anticonvulsivants), et que la mésaventure s’est bien terminée pour tous.
« On ne peut pas les empoisonner à chaque fois mais je suis plus contente quand c’est le cas », aurait dit un jour (à propos de ses personnages !) Agatha Christie qui, forte de son diplôme de pharmacienne (ou de préparatrice en pharmacie, selon les sources) obtenu en 1917, discourait avec aisance des symptômes, dosages et modes d’action des différents poisons qu’elle allait ensuite instiller avec gourmandise dans ses nombreux roman.
C’est ainsi que dès sa première création, parue en 1918, puis à trois autres reprises, celle que l’on surnomme La reine du crime fit appel à la strychnine, successivement sous forme de fortifiant, de « pilules de rêves », cachée dans des huitres, et finalement dans une carafe de porto – concentrée dans le dernier verre, car la strychnine, pas très soluble, s’était déposée au fond de la carafe.
Si les circonstances de ces empoisonnements se caractérisent par un charme très british, leurs effets sont, en revanche, très précisément documentés par Agatha :
« Mrs Inglethorp était allongée sur son lit, et tout son corps se tordait sous l’effet de violentes convulsions […] une ultime convulsion arqua son corps avec une brutalité telle qu’elle parut ne plus reposer que sur la nuque et les talons », « La violence des spasmes était tout à fait singulière […] Ils présentaient un caractère … tétanique ».
Ces descriptions rendent parfaitement compte de ce que l’on observe chez les chiens et les chats empoisonnés par les poisons convulsivants et là… le charme british n’est plus de mise ! Essayons d’y voir un peu plus clair quant à l’effet de ces différents poisons chez nos carnivores domestiques… et sur la manière d’y remédier.
C’est quoi, un poison convulsivant ?
On appelle poisons convulsivants, les poisons qui provoquent… des convulsions, à savoir des secousses et/ou raidissements musculaires violents, involontaires impliquant une grande partie du corps, et résultant d’une hyperactivité paroxystique d’un groupe plus ou moins étendu de neurones. Il existe beaucoup de toxiques convulsivants, dont des produits chimiques, et diverses plantes comme le houx, l’if, le thuya ou le mimosa du Japon – entre autres. Nous nous concentrerons ici sur les plus fréquents, à savoir la strychnine, le métaldéhyde, la crimidine, le chloralose, les organophosphorés et carbamates, et les pyréthrynoïdes.
La strychnine est un alcaloïde obtenu à partir d’un arbre indien (Strychnos nux-vomica). Elle était utilisée sous forme d’appâts pour la destruction des renards (dans le cadre de la lutte contre la rage, avant 1982), puis des taupes jusqu’en 2000. Depuis, elle est interdite… mais des stocks peuvent toujours subsister subsistent ici et là.
Le métaldéhyde est un « tue-limaces » (et autres mollusques), qui se présente sous forme de granulés, souvent (mais pas toujours) de couleur bleue, ou d’appâts carrés, très appétissants pour les chiens et les chats. Depuis le , le méthaldéhyde n’est plus autorisé à la vente, en France, pour les particuliers… mais pas pour les professionnels.
La crimidine est généralement utilisée comme « souricide », et se présente sous la forme de céréales souvent, (mais pas toujours), colorées en rose. Elle est en vente libre.
Le chloralose est utilisé pour éliminer rongeurs, taupes et corbeaux. Il s’agit d’une intoxication fréquente, l’interdiction de la strychnine ayant « profité » à ce produit.
Les organophosphorés et les carbamates, regroupés sous l’appellation d’inhibiteurs de la cholinestérase du fait de leur mode d’action commun, se retrouvent dans des insecticides agricoles ou de jardin, des anti-limaces et escargots, et des médicaments vétérinaires (antiparasitaires externes).
Les pyréthrynoïdes (perméthrine, fluméthrine, deltaméthrine), sont des anti-parasitaires externes courants, qui se présentent sous forme de spot-on ou de colliers. Ils sont bien supportés chez le chien, mais sauf indication très spécifique sur l’emballage, (certains colliers anti-parasitaires pour chats contenant de la flunéthrine), sont très toxiques si on les applique par erreur sur un chat.
Pour l’anecdote, le fluoroacétate de sodium mentionné sur la pancarte en tête d’article est utilisé en Nouvelle-Zélande pour contrôler les populations d’opossums, et aux USA pour protéger les moutons contre les coyotes (au moyen de colliers aux pointes empoisonnées). Snoopy ou Duchesse auront donc très peu de risques de s’empoisonner avec, entre Nîmes et Montpellier !
Les empoisonnements par les convulsivants sont souvent accidentels (par exemple si le chien découvre des appâts destinés aux limaces), mais ils peuvent aussi être dus à la malveillance.
Qu’est-ce que ça fait, chez le chien ou le chat ?
À quelques variations près, tous les animaux empoisonnés par les convulsivants présentent à peu près les mêmes symptômes. Après un temps de latence court, entre l’ingestion et les premiers symptômes, (moins d’une heure dans la plupart des cas), on n’observe d’abord que des tressautements (trémulations, clonies), particulièrement visible sur la face et les oreilles (vidéo ci-dessous) et/ou une salivation (ptyalisme). Dans l’intoxication par la strychnine, l’animal sursaute violemment en cas de surprise, par exemple si l’on claque des mains derrière son dos (hyperesthésie). Au fil des minutes, les contractions se font de plus en plus violentes, jusqu’à en arriver à de véritables convulsions : convulsions toniques par contraction des muscles extenseurs (le chien ou le chat est couché sur le côté, tout raide, la tête rejetée en arrière), ou cloniques (l’animal tremble et pédale des quatre membres). À ce stade, il n’est généralement plus conscient – sauf exceptions, comme dans le cas de la strychnine. La mort, due à l’asphyxie et à l’épuisement, survient généralement après un délai variable, en fonction de la quantité de poison absorbée, du type de poison et de la réplétion du tube digestif. Les chiens ou chats qui ont eu la « chance » d’absorber une faible quantité de poison peuvent se réveiller spontanément, après quelques heures ou jours passés à convulser… mais ce cas de figure est rare !
Clonies touchant essentiellement la tête chez Avril, chat d’un an, empoisonné par un toxique convulsivant. Le chat est déjà sous perfusion, la vidéo a été prise après injection de l’antidote, juste avant que celui-ci commence à faire effet. Les convulsions semblaient terminées le soir… mais ont repris le lendemain ! après de nouvelles perfusions et injections d’antidote, Avril s’est trouvé définitivement tiré d’affaire, 48 heures après son admission (photo plus bas).
Il est théoriquement possible de distinguer les différents types d’empoisonnement en fonction de la nature des convulsions (discontinues avec la strychnine, la crimidine ou le chloralose, continues avec le métaldéhyde, les anticholinestérases ou les pyréthrinoïdes), ou des autres signes associés (salivation avec le métaldéhyde, diarrhée avec les carbamates, baisse des fréquences cardiaque et respiratoire et hypothermie marquée (< 33°C) dans le cas du chloralose…), mais dans la pratique… rien ne ressemble plus à un chien qui convulse qu’un autre chien qui convulse !
Si l’on veut mettre un nom sur le produit en cause, il faudra donc faire des analyses. Celles-ci présentent rarement un intérêt clinique : le temps que les prélèvements arrivent au laboratoire et que les résultats reviennent, le chien est généralement guéri… ou décédé. L’intérêt de ce type d’analyse est donc essentiellement de prouver l’existence de l’empoisonnement, en cas de dépot de plainte. Il faut espérer ne jamais avoir besoin de demander ce genre identification, car les prélèvements se font généralement lors d’une autopsie (contenu de l’estomac, foie, rein…), sauf dans les cas où l’on a pu récupérer du poison en faisant vomir l’animal.
Détail important : un certain nombre de maladies provoquent des convulsions et pourraient faire penser à une intoxication par un convulsivant, au premier rang desquelles on peut citer l’épilepsie. Mais la distinction est facile à faire : sauf dans le cas tout de même particulier de crises subintrantes, une crise d’épilepsie ne dure que deux ou trois minutes, parfois moins, et le temps que vous appeliez votre vétérinaire, la crise est finie et l’animal est déjà en train de se relever. Pour les autres maladies pouvant s’accompagner de convulsions ou de clonies, (méningite, tumeur cérébrale, hypoglycémie ou hypocalcémie, tétanos…), l’évolution, les autres symptômes et le contexte, permettent généralement de faire la différence.
Alors, qu’est-ce qu’on fait ???
Deux cas de figure possibles : vous vous promenez avec Snoopy, et le voilà qui se précipite sur un appât empoisonné (ou quelque chose qui y ressemble), et qui l’avale tout rond ! Il va encore bien, mais il faut agir vite. Ou alors vous n’avez rien vu venir, vous êtres rentré(e) de promenade il y a une demi-heure, et Snoopy se met à tressauter, puis à convulser : l’empoisonnement a bel et bien commencé.
1 – Il a mangé du poison !
Premier cas de figure : vous trouvez éventré l’emballage de poison « anti-nuisibles » que vous stockez dans le garage, et votre chien vous regarde innocemment, couché au milieu des morceaux de carton déchiquetés. Ou bien vous surprenez votre chat en train de se lécher voluptueusement les babines, entre les plants de tomate où vous avez disposé du tue-limaces. Attention, ne croyez pas que votre animal ait pu éventrer un carton de poison, et ne pas y toucher, au motif que le fabricant a écrit en gros sur la boîte que son produit est répulsif pour les chiens et les chats, ou parce que vous pensez que jamais votre Snoopy, si délicat avec la nourriture, a fortiori Garfield, qui boude quand on lui change sa marque de croquettes, ne pourrait avaler ces tablettes bleues ou ces grains de blé rose. Détrompez-vous ! nous avons déjà fait vomir un chien retrouvé par ses propriétaires à côté d’un sac éventré de blé empoisonné… et le chien a vomi un bon kilo de blé ! qui aurait pu croire qu’un chien mange un kilo de blé ? eh bien si… un chien mange sans problème un kilo de blé. Et les chats peuvent aussi nous surprendre dans ce domaine.
Quoi qu’il en soit, à partir de maintenant, pas une minute à perdre : téléphonez à votre vétérinaire pour lui exposer la situation, puis prenez votre animal sous le bras, (prenez aussi l’emballage du poison !), et amenez-le sans délai.
Maintenant, attention : tout ce qu’on va écrire ci-dessous, c’est à titre indicatif, pour donner une idée de la démarche, mais il s’agit bien évidemment de généralités. La conduite à tenir qui vous sera conseillée par votre vétérinaire, pour votre chien ou votre chat empoisonné – ou suspect d’empoisonnement – sera peut-être différente, et c’est normal : comme toujours en médecine, on est dans le cas par cas, et de nombreux facteurs peuvent intervenir dans les prises de décision.
Donc, voilà Snoopy ou Garfield, (ou les deux, s’ils se sont motivés mutuellement autour du tue-limaces), sur la table de votre vétérinaire. Ils ne présentent encore aucun symptôme, l’ingestion est récente, il y a de fortes chances que le poison soit encore dans l’estomac. Dans ce cas, une injection pour faire vomir, le poison ressort, et le problème est réglé à moindres frais. Il faudra quand même rester prudent pendant quelques heures, des fois qu’une partie du poison ait eu le temps de transiter, mais chien et chat sont quand même probablement tirés d’affaire. Notons que tout ceci est valable quel que soit le type de poison, (notamment pour la mort-aux-rats aux effets anti-coagulants), la seule exception étant constituée par les produits agressifs pour les tissus (acides, soude caustique), qui lèseraient l’œsophage une première fois en entrant, et une deuxième fois en ressortant.
Si l’animal ne vomit pas malgré l’injection, (ça ne marche pas à tous les coups, notamment quand les premiers signes d’intoxication sont déjà là), il reste la solution du lavage d’estomac, en prenant bien garde au risque de fausse déglutition. Moins efficace, mais toujours mieux que rien, on pourra aussi administrer du charbon activé, (directement si l’animal est en état d’avaler, à la sonde gastrique s’il est déjà inconscient), pour qu’une partie du poison soit « adsorbée » sur le charbon, et éliminée avant d’être absorbée par l’organisme.
2 – ça y est, il convulse !
Deuxième cas, de figure : l’empoisonnement a commencé. Le premier point important est de savoir reconnaître qu’il s’agit d’un empoisonnement, notamment dans ses premiers stades : ne pas se dire que le chat est bizarre aujourd’hui, que c’est curieux comment il agite ses oreilles et qu’il tremblote un peu, que si ça continue comme ça, demain, on l’amènera chez le vétérinaire. Regardez bien les vidéos de cette page, et si votre chat ou votre chien fait quelque chose d’analogue, téléphonez à votre vétérinaire, et courez !!! à ce stade, l’animal est conscient, on pourra peut-être encore le faire vomir, et les chances de le sortir de là seront meilleures.
Donc, l’animal arrive, en train de convulser ; on n’en est plus alors à essayer d’éliminer le poison : il s’est, de toute façon, déjà répandu dans l’organisme, et l’urgence est alors d’éviter le décès du chien ou du chat, qui peut survenir à tout moment. On pose un cathéter pour disposer en permanence d’une voie veineuse, (pas toujours facile sur un animal qui fait des sauts de carpe à cause du poison), et l’on injecte un produit qui vise à arrêter les convulsions (un anti-convulsivant, le plus souvent un anesthésique ou un sédatif). S’il existe un antidote spécifique au poison absorbé, (vitamine B6 pour la crimidine, pralidoxime (CONTRATHION®) pour les organophosphorés…), on va bien sûr l’administrer, mais 1) encore faut-il connaître le nom du poison, et 2) tous les poisons ne disposent pas d’un antidote : on en est alors réduit à traiter uniquement les effets. Ensuite, on surveille (on ne sait jamais à quel moment les convulsions vont reprendre, et il faut être prêt à réinjecter du produit), on réchauffe, on rééquilibre par des perfusions, etc. Lorsque l’animal, après une demi-journée ou une semaine (!), commence à reprendre conscience sans se remettre à convulser, c’est que l’intoxication est terminée et on peut enfin souffler (vidéo ci-dessous).
Voici Guerlain, jeune chihuahua de deux ans, empoisonné par un toxique convulsivant. Il était inconscient et agité de convulsions lors de son admission, cette vidéo est réalisée 24 heures plus tard. Les perfusions et les injections d’anti-convulsivants sont maintenant suspendues, le chien ayant bien repris conscience. Il est encore agité de quelques tremblements et sursauts, mais les convulsions ne reviennent pas. Guerlain rentrera à sa maison guéri, le lendemain.
Mais attention, quel que soit l’état de l’animal à son arrivée à la clinique, il ne faut jamais penser que c’est gagné, avant d’observer un retour complet à la normale : nous avons vu des chiens ou des chats qui semblaient peu atteints, et qui sont morts une heure plus tard en dépit de soins intensifs, et d’autres qui sont arrivés en très mauvais état, après de longues heures de convulsions, qui sont restés près d’une semaine sous anesthésie, inconscients et en hypothermie, et qui se sont réveillés sans problème à la fin !
Donc, vous l’aurez compris, toujours un pronostic réservé devant un empoisonnement par un convulsivant. Précision importante : si l’animal s’en sort, sauf cas très particulier, c’est sans séquelle dans la quasi-totalité des cas. Une intoxication par un convulsivant, soit on en meurt, soit on s’en sort : il n’y a pas de demi-mesure ! (Photo ci-contre : Avril, que nous avons vu un peu plus haut tressauter sur la vidéo, au début de son empoisonnement : 48 heures plus tard, le chat va bien, l’intoxication est terminée).