En fin d’hiver, ou au tout début du printemps (ce qui, somme toute, est un peu la même chose), vous aurez peut-être un jour la surprise de voir arriver votre chien avec le visage extrèmement enflé et déformé, lui donnant un look surprenant d’hippopotame : il s’agit probablement d’un urticaire facial, ou œdème de Quincke.
C’est quoi, un œdème de Quincke ?
D’un point de vue scientifique, il s’agit d’une réaction anaphylactique (hypersensibilité de type 1), autrement dit une allergie aiguë qui se produit lorsque le chien a déjà été exposé une fois à l’allergène (aliment, médicament, vaccin, piqure d’insecte, pollen…), et a fabriqué un excès d’anticorps contre cet allergène (à savoir une substance qui intervient normalement dans la défense de l’organisme, mais qui va provoquer, dans le cas présent, une réaction disproportionnée).
Tout se passe comme si l’organisme utilisait un missile pour détruire un moustique : des cellules de défense comme les mastocytes (photo ci-dessus) et les polynucléaires basophiles vont se précipiter sur l’allergène, et libérer en grande quantité des médiateurs de l’inflammation, notamment l’histamine. Celle-ci va provoquer une dilatation des vaisseaux sanguins, entraînant rougeur et œdème de la peau, et la libération d’acide chlorhydrique dans l’estomac, d’où parfois des vomissements.
Chez l’Homme (et chez le chat), la libération d’histamine entraîne aussi une contraction des bronches (asthme), mais des particularités anatomiques font qu’il n’existe pas de crise d’asthme chez le chien.
En général, on n’identifie pas l’origine de l’œdème de Quincke chez un chien. Le fait que la quasi-totalité des cas nous soit présentée en mars-avril, suggère que ce sont très majoritairement des pollens qui sont à l’origine du problème. Après, il peut aussi s’agir d’une piqure d’abeille ou d’un contact avec toute autre substance allergisante. Il nous est très rarement arrivé d’observer un œdème de la face quelques minutes après un vaccin.
Pour l’anecdote, l’appellation « œdème de Quincke » est due au Dr Heinrich Quincke (ci-contre), médecin de Francfort qui fut le premier à décrire l’angiœdème qui porte aujourd’hui son nom.
A quoi ça ressemble ?
Classiquement, le propriétaire du chien nous téléphone en nous disant : « mon chien gonfle ! » Dans les minutes qui suivent, nous voyons arriver une créature qui tient plus de l’hippopotame que du chien : le visage (lèvres, nez, oreilles…) est très enflé, de façon symétrique, au point que les yeux sont parfois réduits à deux petites fentes. D’autres parties du corps peuvent également gonfler, et l’on observe aussi parfois des plaques aux poils hérissés, sur l’ensemble du corps (notamment chez les boxers). Tout cela démange beaucoup dans la plupart des cas, et le chien se frotte ou se gratte donc la face en gémissant. En revanche, les parties enflées ne sont pas du tout douloureuse, notamment quand on appuie dessus. Des vomissements ne sont pas rares.
Très important œdème de la face chez Vodka, qui l’empêche quasiment d’ouvrir les yeux. Une éruption de boutons est aussi visible sur le crâne et sur l’épaule droite de la chienne (à droite). Chaque année, Vodka fait deux ou trois œdèmes de Quincke entre mars et avril.
A droite : Lyorca, Cane Corso de cinq mois : la face est enflée (babines, paupières…), mais contrairement aux exemples précédents, l’allergie se manifeste surtout par des plaques épaisses et de grande taille sur le corps : flancs, épaules et le long des membres (photos ci-dessous).
Autre exemple d’une présentation un peu moins habituelle chez Easy, cinq mois : la face est modérément enflée, mais l’allergie se manifeste surtout sous forme de plaques sur la nuque, et de « boutons » qui soulèvent le poil un peu partout sur le corps. Par ailleurs, la crise a eu lieu début août.
Encore un œdème de Quincke affectant le corps plus que la face : de grosses plaques le long des membres de Longo, alors que sa jolie petite tête est (relativement) peu touchée.
L’œdème de Quincke n’attend pas le nombre des années ! Ci-dessus, Nikita, à peine plus de deux mois, trois jours après son arrivée dans sa nouvelle maison.
Comme nous le verrons plus loin, l’œdème de Quincke est généralement bénin, en dehors de cas rarissimes où l’œdème gênerait la respiration. En revanche, il est essentiel de le distinguer d’autres affections, qui peuvent être beaucoup plus sérieuses : essentiellement les abcès de la face, par exemple les abcès dentaires, ou ceux qui font suite à une morsure ou à la migration d’un corps étranger (épillet). Dans le cas d’un abcès, la zone enflée est limitée à un endroit précis (une joue, une oreille…), elle n’est pas symétrique, et elle est douloureuse, surtout si on appuie dessus. Elle n’apparaît pas en quelques minutes pour disparaître spontanément quelques heures plus tard, mais persiste, s’accompagne rapidement d’une atteinte de l’état général (abattement, baisse d’appétit, fièvre), et finit par se percer et suppurer. Il ne s’agit donc pas de laisser évoluer un abcès sans traitement, en pensant qu’il s’agit d’une réaction allergique bénigne.
Un contact avec les chenilles processionnaires de pins peut également provoquer une « enflure » de la face comparable à un œdème de Quincke, d’autant que la saison est à peu près la même (février pour les chenilles, mars pour l’urticaire). Cependant, l’état de la langue n’est pas du tout le même !
Un problème circulatoire (dû par exemple à un gonflement des ganglions parotidiens – sous les mâchoires), peut aussi faire gonfler la face, mais les circonstances d’apparition ne sont généralement pas les mêmes.
Autre cas de « chien qui gonfle » sans être un œdème de Quincke : la torsion d’estomac ! mais là, de n’est pas le visage qui gonfle, c’est le ventre, tendu comme un ballon, et le chien est très mal.
Le chat aussi !
Alors là, pour le coup, c’est vraiment pas fréquent et généralement moins spectaculaire que chez le chien, mais ça existe : la preuve avec Elliot, un an et demi, que ses propriétaires ont vu rentrer de l’extérieur avec la face enflée, notamment les joues et le menton. (Photos ci-dessus). Le signe du godet était positif, c’est à dire que quand on appuyait sur une partie enflée, l’empreinte du doigt persistait une fois le doigt retiré (ce qui est caractéristique de l’œdème).
Plus encore que chez le chien, la différence doit être faite avec un abcès, beaucoup plus fréquent sur la face d’un chat qu’un œdème de Quincke ! l’abcès est asymétrique, (souvent sur une joue), très douloureux à la pression, gonfle au lieu de disparaître en quelques heures, et s’il n’est pas traité, finit par se percer en libérant un flot de pus.
Et c’est grave, docteur ?
Samantha dans son état normal, avec sa jolie petite tête toute fine. La même un peu moins fine un soir début avril… et ça gratte !!!
On en a un peu parlé chemin faisant : en théorie, ça peut être grave. Chez l’humain, sans une prise en charge rapide, ça peut même être fatal si les voies respiratoires supérieures sont complètement obstruées par l’œdème – sans oublier le choc anaphylactique, qui peut aussi être mortel. En pratique, chez le Chien, il ne nous est pas souvent arrivé (peut-être jamais ?) de voir un animal en détresse respiratoire à cause d’un œdème de Quincke. Certains supportent assez bien cette situation, la plupart se grattent ou se frottent frénétiquement le museau sur tout ce qu’ils peuvent trouver (photos ci-dessus). ça finirait sans doute par passer tout seul dans la plupart des cas, mais c’est très inconfortable, et ça peut durer assez longtemps. Il est donc conseillé de prendre rapidement contact avec votre vétérinaire pour le prévenir de la situation, et décider de la conduite à tenir : réadministrer un traitement précédent si le chien est coutumier du fait, ou présenter rapidement l’animal en consultation, au moins pour le soulager, et pour éviter (même si c’est très rare), qu’il se trouve en danger à cause de difficultés respiratoires.
Alors, que faire ?
Nous présenter le chien rapidement : nous lui ferons des injections (corticoïdes en intra-veineuse, anti-histaminiques…), et l’animal commencera à dégonfler en quelques minutes.
Une fois le chien dégonflé, à quoi peut-on s’attendre pour la suite ? Eh bien… on peut s’attendre à tout ! la plupart des chiens ne feront plus d’autre œdème de Quincke pendant tout le reste de leur vie. Quelques-uns en referont un l’année suivante, et ce sera fini. Quelques originaux, enfin, en feront un ou plusieurs par an, tous les ans ! pour ces derniers, il sera intéressant que les propriétaires disposent de quelques anti-histaminiques en stock dans ses tiroirs, en prévision du prochain épisode !