Parmi les NAC, le champion toutes catégories des maladies endocriniennes est certainement le furet, avec trois affections potentiellement mortelles : la maladie surrénalienne et l’hyperœstrogénisme, dont nous parlerons ici, auxquelles on peut ajouter l’insulinome. Aux Etats-Unis, la maladie surrénalienne représente un quart des motifs de consultation pour le furet, ce qui n’est quand même pas rien ! En Europe, c’est un peu moins, probablement à cause d’une prédisposition génétique des furets nord-américains, conséquence d’une importante consanguinité. Mais comme tout ce qui se passe là-bas finit par arriver chez nous… Heureusement, des traitements existent, mais encore faut-il savoir reconnaître ces deux maladies, et ne pas simplement se dire : « Tiens, mon furet se déplume un peu sur la queue » !
La maladie surrénalienne
Qu’est-ce que c’est ?
Alors, comment faire simple pour expliquer une maladie compliquée ?
L’hypothalamus, une petite glande qui pendouille sous le cerveau, stimule à la fois les testicules (qui produisent une hormone sexuelle mâle : la testostérone), les ovaires (qui produisent une hormone sexuelle femelle : l’œstradiol), et les glandes surrénales (qui fabriquent le cortisol, l’aldostérone, et quelques autres hormones). En retour, les hormones sexuelles inhibent l’hypothalamus, (on appelle ça un rétrocontrôle), ce qui conduit à un équilibre : l’hypothalamus fait produire juste ce qu’il faut d’hormones sexuelles par les testicules et les ovaires, parce que les dites hormones sexuelles empêchent en retour l’hypothalamus de trop stimuler les testicules et les ovaires. Je ne suis pas sûr d’avoir été clair, n’hésitez pas à faire une pause et à relire tout ça avant d’aller plus loin.
Donc, maintenant, on stérilise notre furet : pour le comportement, pour l’odeur, pour arrêter les chaleurs de la furette qui, en plus d’être gênantes, peuvent provoquer l’hyperœstrogénisme dont nous parlerons plus loin, etc. Et là, paf ! l’équilibre est rompu ! plus d’hormones sexuelles pour exercer un rétrocontrôle sur l’hypothalamus, alors celui-ci ne se sent plus : il stimule, stimule, stimule les seules glandes (ou presque) qui lui restent à stimuler, à savoir les surrénales. Et ça nous donne des surrénales qui grossissent, grossissent, parfois au point de se cancériser à force de surstimulation, et qui produisent… des hormones sexuelles ! A noter que contrairement à ce qui se passe dans le syndrome de Cushing du chien, les surrénales ne synthétisent pas plus de glucocorticoïdes (cortisol plasmatique) ni de minéralo-corticoïdes pour autant : seulement les hormones sexuelles.
Bon, tout ça, c’est la principale cause de maladie surrénalienne. Mais comment expliquer que des furets non stérilisés déclenchent cette maladie ? C’est qu’il existe d’autres facteurs, à ne pas négliger : d’abord, l’hérédité : on l’a vu, les furets nord-américains, qui souffrent d’une forte consanguinité, sont, pour cette raison, plus souvent atteints que les furets français. Ensuite et surtout, la gestion de l’éclairement (photopériode) : l’éclairage artificiel notamment, s’il est supérieur à 12 heures par jour, inhibe la synthèse de mélatonine, ce qui entraîne une augmentation de la production de certaines hormones (FSH et LH), qui pourront favoriser une hyperplasie, voire une tumorisation, des surrénales. Enfin, l’obésité a un effet favorisant.
Indépendamment de ces mécanismes hormonaux, (mais un peu en rapport quand même), une autre cause de maladie surrénalienne est une tumeur de la surrénale. Là, c’est pas compliqué : si la partie de la surrénale tumorisée est celle qui fabrique les hormones… eh bien on aura davantage d’hormones, et ça nous déclenchera une maladie surrénalienne. Bon, tout ça se rejoint quand même : comme on vient de le voir, c’est souvent la surstimulation des cellules de la glande surrénale qui entraîne la cancérisation de ces dernières… donc dans bien des cas, stérilisation ou tumeur, pour la surrénale, c’est même combat.
Maladie surrénalienne chez ce furet de quatre ans, présentant des dépilations s'étendant progressivement depuis deux mois : on voit ici la perte de poils complète sur le bas du dos, quasi complète sur la queue, et qui commence à gagner les flancs et la nuque. Par ailleurs, le furet ne mange plus, a maigri et a du mal à se lever. A l'échographie, la taille des surrénales est augmentée. Le furet a reçu un implant de desloréline, et l'état général s'est amélioré en quelques jours. La repousse des poils a été nettement plus longue.
Les symptômes
Qu'est-ce qui peut bien se passer, quand on inonde un furet ou une furette stérilisés d'hormones sexuelles ? Eh bien, les mâles redeviennent (presque) de vrais mâles, avec un comportement sexuel, de l’agressivité et une grosse prostate, (ben oui, il n’y a pas que des avantages à redevenir un vrai mâle), et les femelles, presque de vraies femelles avec une vulve gonflée et des écoulements ; et tous empestent à nouveau, comme avant la stérilisation. On observe aussi toute une ribambelle d’autres symptômes, abattement, fonte musculaire, prise de boisson (et par conséquent, quantité d'urines) augmentées… et les dépilations typiques des déséquilibres hormonaux, qui sont généralement la partie la plus visible de l'iceberg : ces dépilations commencent par la queue, puis les lombes, avant de s'étendre de façon symétrique sur le tronc et le ventre. En général, les alopécies d'origine endocrinienne ne provoquent pas de démangeaison, mais dans le cas du furet, on en rencontre dans 10 à 40% des cas.
Un point important : après la stérilisation, ces symptômes mettront en moyenne 3,5 ans à apparaître, et les furets atteints seront presque toujours âgés de plus de trois ans.
Même furet que ci-dessus, qui voudrait bien s'échapper de la salle de consultation. A droite, gros plan sur le bas du dos, où il ne reste vraiment plus aucun poil !
Dans les cas les plus grave, les œstrogènes peuvent exercer une toxicité sur la moelle osseuse, qui arrête alors de fabriquer les globules rouges (d'où une anémie), les globules blancs (provoquant une baisse d'immunité, donc une plus grande sensibilité aux infections), et les plaquettes (d'où des saignements).
Le diagnostic
Déjà, quand on a un furet castré qui recommence à sentir… le furet, à montrer des comportements sexuels et de l'agressivité… ou une furette (bien) ovariectomisée avec une vulve œdémaciée et des écoulements vulvaires… on peut se dire qu'il y a anguille sous roche. Si en plus la bestiole a plus de trois ans et qu’elle commence à perdre ses poils comme sur les photos ci-dessus…là, on a quasiment le diagnostic.
Plus de poils sur la queue chez cette furette stérilisée (ovario-hystérectomisée), présentée également pour perte d'appétit et amaigrissement. On voit que les poils commencent aussi à se raréfier sur la ligne du dos et les flancs (Photo ci-dessus). Quand on retourne la furette (photo ci-contre), on constate que son abdomen est également dépilé, et surtout que sa vulve est bien gonflée. Le diagnostic de maladie surrénalienne est quasiment acquis, il ne reste plus qu'à aller faire un tour en salle d'échographie !
Après, c'est quand même bien de préciser un peu, pour différencier - si possible - une "simple" hyperplasie d'une tumeur surrénalienne (en sachant quand même que la "simple" hyperplasie peut évoluer en tumeur, avec le temps), et déterminer ainsi le traitement le plus adapté. Donc on fait un petit tranquillisant à notre furet pour qu'il reste bien tranquille sur le dos cinq minutes, et on va lui regarder les surrénales en échographie. Si les deux surrénales sont anormalement grosses et déformées (généralement plus rondes que la normale), on peut dire sans grand risque de se tromper qu'il s'agit d'une maladie surrénalienne - le problème étant que ce cas de figure ne représente que 15% des cas. Si une seule des deux surrénales est anormale, ça peut aussi être une hyperplasie, mais il y a un risque que ce soit une tumeur. Notons que contrairement à ce qui se passe dans le syndrome de Cushing du chien, si la taille de l'une des deux surrénales est augmentée, l'autre ne sera pas atrophiée pour autant. (La raison en étant que la surrénale hypertrophiée sécrète une quantité importante de testostérone ou d'œstradiol, et non de cortisol). Evidemment, comme toujours quand on fait une échographie, on en profite pour regarder le reste de l'abdomen, surtout si on suspecte une tumeur, histoire de vérifier qu'il n'y ait pas de métastases dans le foie, les reins…
Et puis si on a encore un doute, on peut faire une prise de sang pour demander un dosage des hormones sexuelles. Mais quand on a une furette stérilisée avec une vulve toute œdémaciée, il n'y a pas trop de suspense, le taux d'œstrogènes sera forcément élevé.
Le traitement
Deux options pour le traitement. Première possibilité : la chirurgie, on enlève la glande atteinte. On aurait tendance à n'envisager cette option que si une seule des deux surrénales apparaît anormale à l'échographie, mais étonnamment, et contrairement à ce qui se passe dans d'autres espèces, le risque de se retrouver avec un hypocorticisme si on retire les deux surrénales est faible, et peut être contrôlé médicalement s'il survient. Les résultats sont bons, puisqu'une étude portant sur 130 furets présentant une maladie surrénalienne a montré un taux de survie de 98% à un an après chirurgie, et 88% à deux ans et ce, quelle que soit la nature de la lésion (tumorale ou non), et la glande retirée (la droite, la gauche… ou les deux !). Quelques limites à l'option chirurgicale : d'abord, il faut que la maladie ne soit pas trop évoluée, et que l'état du furet soit compatible avec l'intervention. Ensuite, il faut que le bilan d'extension soit favorable, parce que le pronostic après chirurgie a beau être bon, même en cas de tumeur surrénalienne, si l'échographie nous montre des métastases partout dans le foie et les reins, on va peut-être y regarder à deux fois avant d'opérer ! Autre raison : en cas d'hyperplasie, il y a de fortes chances que quelques temps après avoir retiré la première surrénale, la seconde suive le même chemin. Enfin, la chirurgie est tout de même assez délicate, notamment pour la surrénale droite, collée à la veine cave caudale.
Alternative à la chirurgie, le traitement médical. La référence dans ce domaine est aujourd’hui la mise en place d'un implant de desloréline (vidéo ci-dessous). La durée d’action annoncée varie selon les études : certaines parlent de 6 à 18 mois (un an, en moyenne), mais il semblerait qu'on soit plus près d'une moyenne de 2 ans pour un implant de 4,7 mg, et 3 à 4 ans pour celui de 9,4 mg. Les symptômes s’aggravent pendant les 2-3 semaines qui suivent la pose de l'implant, mais après, ça s'arrange. Les poils mettent quand même au moins un mois ou deux à repousser.
Mise en place d'un implant de desloréline en pratique, chez une furette : on commence par une anesthésie "flash" : la furette est endormie dans une cage à oxygène (à droite au début de la vidéo), dans laquelle un anesthésique gazeux est administré en même temps que l'oxygène. Dès que la furette s'endort, elle est sortie de la cage à oxygène, et l'anesthésie est entretenue au masque. (L'appareil d'anesthésie gazeuse est à gauche, au début de la vidéo). L'implant est ensuite injecté sous la peau du cou, son positionnement sous la peau est vérifié, puis l'administration de l'anesthésique est arrêtée. La furette se réveille alors en quelques minutes.
Et en prévention ?
Traiter, c'est bien, prévenir, c'est mieux. Diverses recommandations ont été émises pour diminuer le risque de se retrouver avec une maladie surrénalienne, à commencer par les modalités de la stérilisation chirurgicale. Il a été proposé de gérer les manifestations sexuelles des furets avec des implants jusqu'à l'âge de six ans, et de stériliser à ce moment-là ; sachant que la maladie surrénalienne met en moyenne 3,5 ans à se développer, cela nous amène autour des 9 ans, âge avancé et rarement atteint par un furet. Cette recommandation est maintenant à peu près abandonnée, car le risque de décès à l'anesthésie est augmenté au-delà de quatre ans, chez le furet. La solution la plus souvent retenue aujourd'hui est une stérilisation entre six mois et un an chez le mâle, et avant les premières chaleurs chez la femelle (de préférence avant le mois de février, idéalement courant décembre), sachant que le risque d'aplasie médullaire augmente à chaque cycle. Puis, à partir de l'âge de trois-quatre ans dans les deux sexes, on surveille par échographie l'état des glandes surrénales : en cas d'atteinte de l'une d'elles, (et/ou d'apparition de symptômes évocateurs), on pose un implant de desloréline, opération que l'on répètera en moyenne tous les deux ans, jusqu'à la fin de la vie de l'animal.
Ou sinon, on ne stérilise pas chirurgicalement, et on pose d'emblée un implant. Comme ci-dessus, on répètera ensuite l'opération tous les deux ans, ou à la première réapparition de manifestations sexuelles : odeur, changement de comportement, gonflement de la vulve chez la furette… L'implantation se fera de préférence en période d'anoestrus, l'idéal étant le mois de novembre.
N'oublions pas non plus de coucher son furet avec les poules et de le réveiller avec le soleil, le non respect de la photopériode étant, on l'a vu, une cause de maladie surrénalienne, indépendamment de la stérilisation : donc 12 heures sur 24 d'obscurité pour le furet, et ça fera du bien à ses maîtres par la même occasion, s'ils décident de (plus ou moins) s'aligner. Penser aussi à faire garder la ligne à la bestiole.
Et donc, la morale de toute cette histoire, c'est que même si votre petit(e) furet(te) a l'air d'aller tout bien, si vous voyez que sa queue commence à se déplumer, alors il est conseillé de consulter !
L'hyperœstrogénisme de la furette
Là, c’est le contraire de la maladie surrénalienne, puisque l'hyperœstrogénisme touche les femelles non stérilisées. Il faut savoir que chez la furette, comme chez la chatte, l'ovulation est provoquée par l'accouplement, ce qui veut dire que tant que ces demoiselles n’auront pas été saillies, elles resteront en chaleurs… et ça peut durer des mois ! Certains facteurs extérieurs, comme une baisse de la durée d'éclairement en-dessous de 12 heures par jour, peuvent éventuellement stopper cet œstrus prolongé… mais s'il faut attendre l'automne pour que la furette se calme, on n'est pas sortis de l'auberge ! Bref, voilà donc notre furette totalement imbibée d’œstrogènes, et trop d’œstrogènes, au-delà d’un mois, c’est toxique, notamment pour la moelle osseuse : celle-ci peut s’arrêter de produire les globules du sang, ce qui est évidemment très embêtant. On se retrouve donc avec une anémie (par manque de globules rouges), des infections (par manque de globules blancs), et des saignements (par manque de plaquettes). Avant d'en arriver là, on observera logiquement une vulve gonflée avec pertes vaginales, les dépilations que nous connaissons maintenant bien, qui commencent par la queue et les flancs, et peuvent remonter jusqu’à la tête (vous avez vu tout cela en photos un peu plus haut), et puis un abattement et une parésie des pattes arrières.
Pour empêcher ça, on peut fournir un furet à sa furette, ou la faire stériliser, (mais avec le risque de maladie surrénalienne décrite plus haut), ou injecter un implant de desloréline : dans une étude, un implant de 4,7 mg a provoqué l’ovulation chez les sept furettes testées, et a empêché le retour des chaleurs pendant 22 à 35 mois.
Notons que sans aller jusqu'à l'hyperœstrogénisme, la sécrétion "normale" d'œstrogènes chez la furette en chaleurs, ou au printemps avec l'allongement de la durée des jours, bloque la pousse des poils : ceux-ci deviennent donc plus fins, puis une alopécie des flancs apparaît. Tout cela rentre dans l'ordre à la fin des chaleurs, lorsque la furette a été saillie, ou à l'automne lorsque la durée des jours décroît.